La révolte des gilets jaunes déclenchée en novembre dernier (presqu’un an déjà) par l’instauration d’une nouvelle taxe sur les carburants, révèle au pays qu’une bonne partie de la population, dans les couches sociales se situant au bas de l’échelle, veut bousculer l’organisation de notre société. On sait qu’en France le fonds culturel est majoritairement plus sensible à l’égalité qu’à la liberté, et les gilets jaunes sont de ceux-là. Ils se plaignent de ne pas pouvoir assurer leurs fins de mois et revendiquent leur droit à avoir, eux aussi, une place dans la société. Les revenus, dans notre pays, nous disent- ils, sont mal partagés : il y a trop d’inégalités. Il faut donc davantage taxer les riches, et c’est, précisément, ce qu’ils nomment le « cadeau fait aux riches » par Emmanuel Macron en réformant l’ISF qui vient en premier dans leurs critiques. Il s’y est rajouté, chemin faisant, leur désir de davantage participer à la gouvernance du pays.
Cette révolte est grave, car elle est profonde. Les instituts de sondage chiffrent, en effet, à 70 % la proportion des personnes qui soutiennent ce mouvement. Certes, avec les actes de vandalisme commis à chaque grande manifestation, ce taux de sympathisants tend-il à baisser, mais il reste encore supérieur à 50 % selon les derniers sondages. Le soutien exprimé s’explique avant tout par le « ras le bol » fiscal des Français.
Il paraît donc naturel de s’interroger pour savoir si les passions qui animent les gilets jaunes relèvent de l’envie, ou bien de la jalousie ? La question n’est pas anodine, car la réponse à cette interrogation est de nature à déterminer le type de société qui convient le mieux aux Français. Le Grand Débat national a permis aux citoyens de s’exprimer sur l’ordre économique en place et sur le rôle de l’Etat dans notre société. Le problème est donc tout à fait sérieux. Les gilets jaunes revendiquent le droit de bénéficier de la totalité du fruit de leur travail : il y a dans cette revendication des relents de marxisme, Karl Marx déniant aux capitalistes le droit de s’approprier une part de la valeur de transformation incorporée dans les biens produits pour rémunérer leurs capitaux, une exigence d’autant plus justifiée, aujourd’hui, que notre monde est de plus en plus caractérisé par une incertitude knightienne.
La jalousie et l’envie, nous disent les psychologues, sont deux phénomènes différents. La grande psychanalyste austro-britannique, Mélanie Klein, écrivait dans un de ses ouvrages : « L’envie n’est pas seulement le désir de posséder, mais aussi le besoin impérieux de détruire la jouissance qu’un autre trouve auprès de l’objet convoité ». L’envie est un sentiment négatif, destructeur : on y trouve de la haine. Le sociologue allemand, Helmut Schoeck, a expliqué dans son ouvrage « der Neid » que, dans la vie économique, « l’envie pousse à un impôt fortement progressif sur le revenu et à une taxation de l’héritage équivalent à sa confiscation pure et simple ». Et il rajoutait, un peu plus loin : « L’envie encourage les révolutions : le but des mouvements égalitaires est de parvenir à un nivellement ». Et l’on se souvient que Nietzsche avait expliqué : « Un homme ne réussit pas ce qu’il a entrepris : dans une colère il s’écrie : que l’univers entier s’écroule donc ! ».
La jalousie, elle, est une passion beaucoup moins destructrice. Descartes avait expliqué que la jalousie est rationnelle, alors que l’envie est un vice. Dans la vie de tous les jours, la jalousie est une réaction de l’ego qui englobe des sentiments d’humiliation et de rage qui font obstacle à se contenter de ce que l’on a : c’est un dépit ressenti à la vue des avantages qu’ont d’autres personnes. La spécialiste de l’Economie du bonheur, Claudia Senk, dit que les Français souffrent de « comparaisons sans espoir : en se comparant aux autres ils tombent dans la jalousie, et ce sentiment dégrade leur bonheur ».
Selon, donc, la manière dont on caractérisera les sentiments qui animent les gilets jaunes dans cette révolte qu’ils continuent de mener avec la plus grande détermination, on comprendra vers quel type de société ils veulent nous acheminer : soit une Economie pouvant comporter encore quelques éléments de libéralisme, soit une Economie de type complètement socialiste. La France, depuis la fin des trente glorieuses, a changé de système, nous dit Jean-Louis Beffa, l’ancien président de Saint Gobain, dans son ouvrage « la France doit choisir » : elle est passée, nous dit-il, du modèle « commercial-industriel » qui privilégie les intérêts du pays et met en priorité les exportations, au modèle anglo-saxon « libéral-financier », où la priorité est donnée à l’actionnaire. Cette Economie capitaliste pose de réels problèmes aux gilets jaunes.
Voyons comment la psychologie des gilets jaunes peut s’accommoder des systèmes économiques pouvant être proposés à nos concitoyens. Le modèle libéral est acceptable pour des gilets jaunes animés simplement de sentiments de jalousie. En se comparant à leurs voisins, mieux lotis, ces sentiments de jalousie inciteront normalement bon nombre d’entre eux à progresser pour se hisser à la hauteur des individus qu’ils jalousent. Le modèle d’Economie socialiste, lui, parait parfaitement adapté aux gilets jaunes qui se trouvent animés de sentiments d’envie : ces personnes qui veulent à tout prix l’égalitarisme se rangent, à l’évidence, dans la catégorie des Français qui préfèrent l’égalité à la liberté.
Tout va dépendre, donc, de ce que décideront les Français s’ils sont interrogés, comme cela est possible, pour répondre à un referendum, ou pour élire de nouveaux députés. Mais cette hypothèse s’est un peu éloignée pendant l’été. Pour l’instant, les gilets jaunes sont moins de 100.000 personnes. Et il y a un peu plus de 45 millions d’électeurs en France qui ont voté à une large majorité pour Emmanuel Macron. Vont-ils imposer un nouveau mode de fonctionnement de notre économie ? Probablement pas, car ce sera à la majorité des élus de décider du bon dosage à effectuer, dans notre pays, entre dirigisme et libéralisme.
Les Français, dans leur majorité, veulent une économie de marché s’accommodant d’une action continue des pouvoirs publics, mais nous sommes en limite haute. C’est la façon dont fonctionne de fait notre pays. Une intervention de l’Etat dans la vie économique plus importante encore qu’elle ne l’est aujourd’hui, condamnerait, à n’en pas douter, définitivement notre pays au déclin. Emmanuel Macron ne devra donc pas dévier de la ligne qui est la sienne, en dépit des obstacles mis sur son chemin, et un peu plus de libéralisme boosterait probablement le développement de notre économie.