Les gaz et pétroles de schistes sont en train de révolutionner le paysage énergétique mondial… dans le sens du progrès, aussi bien économique, géopolitique… qu’environnemental ! Allons-nous là encore nous contenter de regarder les trains passer ?
Les États-Unis ont procédé depuis le début 2016 à leurs premières exportations de gaz naturel, rendues possibles par leur excédent de production, aujourd’hui principalement issu des roches mères – d’où le nom « gaz de schistes ». Qu’on le veuille ou non, le phénomène qui était d’abord local – États-Unis et Canada, puis Argentine et Chine – a maintenant des implications mondiales. Mais quelles en sont les répercussions et comment devrions-nous réagir à cette nouvelle donne ?
Des conséquences économiques et géopolitiques de long terme
Il convient d’abord de tordre le cou à une idée fausse et caricaturale : « Ce n’était qu’une mode passagère que la baisse des prix allait remiser au cimetière des technologies dépassées … ». La réalité telle qu’elle apparait aujourd’hui est tout autre : la productivité de puits dans certaines zones des États-Unis a été multipliée par cinq. Et les pratiques progressent en permanence, stimulées par des progrès technologiques et organisationnels qui font considérablement baisser les coûts. A titre d’exemple, le seuil de rentabilité de certaines productions américaines est déjà passé sous le seuil des 30 dollars par baril, soit moins que pour les productions issues de l’offshore profond[[Profondeur d’exploitation en mer d’au moins 300 mètres.]] ou des sables bitumineux…
Ces technologies ont également eu pour conséquence une augmentation importante des réserves prouvées, aussi bien pour le pétrole que pour le gaz, repoussant de plusieurs dizaines d’années d’éventuelles tensions physiques sur les disponibilités. Les pétroles et gaz de schistes sont donc, et pour longtemps, des acteurs déterminants du paysage énergétique international. La baisse des prix favorisera le développement économique mondial. C’est particulièrement vrai pour les pays émergents, dont la demande d’hydrocarbure, du fait de l’accroissement démographique devrait continuer à augmenter. Ainsi la question n’est plus : « Aurons-nous demain assez de pétrole et de gaz ?», mais : « A quel prix serons-nous capables de produire pour couvrir nos besoins ? ».
Cette montée en puissance des gaz et pétrole de schiste aura également des conséquences géopolitiques vertueuses. En effet le paysage du pétrole et du gaz conventionnel est marqué par la prééminence de certains acteurs sur la scène mondiale : Pays du Moyen-Orient (dont Arabie Saoudite et Iran), États-Unis et Russie pour le pétrole, Qatar, Russie et États-Unis pour le gaz. A l’inverse les réserves d’huiles et de gaz de schistes – pour ce qu’on peut en connaitre – semblent, elles, beaucoup mieux réparties sur l’ensemble de la planète, avec des points d’ores et déjà remarquables, comme l’Argentine et la Chine. Leur développement – s’il se poursuit – devrait ainsi a minima favoriser la sécurité des approvisionnements pour l’ensemble des acteurs, les rendant moins dépendants de conflits locaux, ou diminuant l’importance et les effets des hydrocarbures dans les politiques des États.
Une opposition environnementale non justifiée
Les opposants aux gaz et pétroles de schistes avancent enfin des arguments environnementaux à l’appui de leur position.
La première série d’objections tient aux conditions d’exploitation :
– Fuites de gaz méthane ;
– Utilisation importante d’eau, et risque de pollution des nappes phréatiques ;
– Utilisation importante de surface au sol, au détriment d’autres usages, principalement agricoles ;
– Bruit pendant la phase d’exploration ;
– Transport de la production ;
– Risques de déclenchement de microséismes.
Chacun de ces sujets a une certaine pertinence, mais tous peuvent trouver des solutions à travers une amélioration de la technologie et des pratiques, ce que montre l’expérience, maintenant riche, des États-Unis. Un corpus règlementaire adapté ainsi que la pratique des contrôles et audit des opérations doivent permettre de résoudre la quasi-totalité des cas.
La deuxième série d’objections peut s’articuler autour du thème : « Il ne faut pas développer les hydrocarbures de schistes, car cela donne un mauvais signal aux consommateurs et réduit l’incitation économique à aller vers des systèmes énergétiques décarbonnés ». C’est oublier que de toutes façons, du fait de leur prix, les énergies décarbonnées représenteront encore longtemps une faible part du marché. C’est ce qui explique qu’elles ne représentent aujourd’hui que 7% de la consommation d’énergie primaire et 17% de la consommation électrique (l’essentiel étant constitué par l’énergie hydroélectrique).
Qu’on le veuille ou non, le recours aux énergies fossiles est donc incontournable pour encore de nombreuses décennies. Or, en attendant que les technologies évoluent et que les prix des énergies vertes baissent, il parait stratégique de remplacer des énergies fossiles moyennement chères (hydrocarbures conventionnels) par des énergies fossiles encore moins chères (pétrole et gaz de schistes). En outre, s’agissant de la production électrique, le recours au gaz naturel quel qu’il soit (c’est-à-dire y compris gaz de schistes) a lui un effet bénéfique direct et important sur les émissions de gaz à effet de serre quand il vient en substitution de l’usage du charbon.
Un troisième argument est invoqué : « les ressources financières qui seront mobilisées seraient mieux utilisées dans le développement des énergies renouvelables ». En réalité ceux qui l’avancent oublient que, dans nos économies développées et d’inspiration libérale, les ressources ne manquent jamais pour de bons projets. C’est plutôt la qualité des projets qui génère l’abondance ou le déficit de ressources. Par ailleurs, les gaz et pétrole de schistes pourraient paradoxalement être une opportunité pour les énergies vertes : étant donné que le coût de production du gaz et pétrole de schistes peut encore diminuer, la mise en place d’une taxe sur ces énergies serait indolore et donc un excellent moyen pour financer la transition énergétique.
Un quatrième argument est aussi parfois entendu : « La France a peu de ressources naturelles, il faut garder les gaz et pétroles de schistes pour le jour où l’on en aura vraiment besoin ». Ce dernier argument fait fi de la situation économique et de l’emploi dans notre pays ainsi que du temps nécessaire entre la décision de faire de l’exploration pour savoir de quoi l’on parle. Ce temps se chiffre en dizaines d’années.
La difficulté de communication ne devrait jamais servir de prétexte pour refuser de mettre en place une politique pertinente. Or, la myopie française sur ce sujet, malheureusement, ne semble avoir que cette attitude comme justification. Il est peut-être temps de remettre ses lunettes ? Nous avons été capables de le faire lors du développement du programme nucléaire. Peut-être les verres ne sont-ils pas complètement obscurcis aujourd’hui ?