Depuis une loi organique de 2009, la plupart des lois votées par le Parlement doivent être précédées d’une « étude d’impact ». Quoique nécessaire, cette réforme n’a pas eu de résultats dans les faits, l’esprit initial de la loi ayant été complètement vidé de sa substance par les administrations, puis par le Conseil constitutionnel lui-même.
L’article 39 de la réforme constitutionnelle de 2008 a précisé que « la présentation des projets de loi […] répond aux conditions fixées par une loi organique. » Il y a donc eu une loi organique en 2009, et celle-ci a instauré une étude d’impact obligatoire pour la plupart des projets de loi. Il s’agissait d’une part de vérifier l’utilité du texte : les documents de l’étude d’impact recensent en effet « les options possibles en dehors de l’intervention de règles de droit nouvelles » et ils « exposent les motifs du recours à une nouvelle législation. » Ils doivent d’autre part regarder sa cohérence avec les textes existants et s’assurer que la nouvelle loi n’entraîne pas une situation pire que la précédente pour les différentes parties prenantes.
L’article 8 précise ainsi que les documents de l’étude d’impact « exposent avec précision […] l’évaluation des conséquences économiques [et] financières, […] ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées […] en indiquant la méthode de calcul retenue ». Cette évaluation doit être faite « pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées ». En allant sur le site de l’Assemblée nationale, il est possible à toute personne ou organisation de déposer une contribution à l’étude d’impact, qui est alors transmise au rapporteur du projet de loi.
Si l’on ne peut que se réjouir de la volonté de mettre en application le principe constitutionnel de sécurité juridique ainsi que celle de ne pas empirer la situation du pays, on peut en revanche déplorer une mise en œuvre relativement naïve. Ainsi, si le site de Legifrance[[http://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Guide-de-legistique/I.-Conception-des-textes/1.1.-Necessite-des-normes/1.1.2.-Etudes-d-impact]] mentionne que l’étude d’impact doit être aussi « objective» que possible, il indique également que « la réalisation de ce document appartient naturellement au ministère porteur du projet ». Or, on comprend mal comment un ministère pourrait critiquer son propre projet de loi.
Outre la question de l’objectivité, on constate par ailleurs qu’en termes d’évaluation des coûts et bénéfices financiers attendus, on ne trouve quasiment rien dans les quelques études d’impact que nous avons regardées. 232 pages pour l’étude d’impact donnée par le ministère de la Santé à l’appui de la loi dite Touraine et pratiquement aucun chiffre dans ce rapport sur le coût des dispositifs mis en place. On constate la même chose pour la loi ALUR qui a contribué à faire s’effondrer un secteur pourtant clé de l’économie, celui de la construction et du logement.
Or, en réalité, une décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014 a complètement avalisé ce mode de fonctionnement. Des députés ont en effet saisi le Conseil constitutionnel à propos de la loi sur la réforme des régions, constatant avec raison que l’étude d’impact « se contentait […] d’asséner des affirmations non argumentées et non documentées quant aux conséquences économiques, financières et sociales »[[Observations des Sénateurs membres du Groupe du RDSE du Sénat à l’attention des Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel sur le non respect de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 par l’étude d’impact du projet de loi n° 635 (2013-2014) relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/ccobs_rdse_12fnr.pdf]]. Par exemple, l’étude d’impact mentionne des économies d’échelle qui résulteraient du regroupement des régions, mais aucune méthode de calcul n’est fournie. Par ailleurs l’étude d’impact ne fournit ni le détail des différentes options possibles ni la raison qui explique que certains découpages ont été écartés et d’autres privilégiés[[Ibid.]]. Malgré ces éléments, le Conseil constitutionnel a estimé que les règles fixées par la loi organique avaient été respectées, retenant donc une vision purement formelle de l’étude d’impact[[Proposition de loi organique, visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014, http://www.senat.fr/leg/ppl13-776.html]].
Outre ces aspects, on peut mentionner qu’il n’existe aucune transparence sur les contributions déposées sur le site de l’Assemblée nationale : on ne sait pas comment elles ont été traitées.
L’esprit initial de la loi a donc été finalement complètement vidé de sa substance. Ceci au point que huit parlementaires ont demandé la suppression de l’évaluation économique et financière de l’étude d’impact[[Ibid.]], car reconnue comme un exercice formel et donc totalement inutile. Cette proposition n’a pas été votée par le Parlement, mais montre bien que malgré l’ambition louable de départ, on se retrouve dans un jeu de théâtre inutile et délétère.
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Le simulacre des études d’impact
La France souffre toujours de la suffisance des "petits marquis" qui prétendaient "tout savoir sans n'avoir rien appris". Il est amplifié par cette formation au concours qui ne cherche pas l'excellence. Elle se contente du mieux dans des conditions spécifiques …
INTERNET amplifie cette arrogance en donnant l'impression de mettre l'information à la portée de tout le monde. Malheureusement qui se souvient de nos pères qui choisissaient l'auteur avant de lire l'ouvrage? Certains sites admettent que leurs informations demandent à être enrichies et corrigées. Ils vous invitent même à le faire!!
La deuxième ligne de réflexions est la surcharge des décideurs tant publics que politiques en France. On a l'impression qu'ils n'ont pas le temps d'organiser leurs équipes. Ils comptent sur des jeunes brillants et généreux pour faire l'impossible … Sauf que lors des concours il suffisait de faire un peu plus que les autres alors que, dans une industrie en concurrence, il faut tenir tous ses engagements dans un processus d'amélioration permanent …
Qui a participé à des procédures budgétaires d'entreprises privées sait combien il faut être respectueux des compétences de chacun pour garantir que le budget sera réalisable puis réalisé.
Cette confusion publique génère erreurs, frustrations et surtout mauvaises mises en œuvre de ces compétences qu'on n'a pas pris le temps de considérer. Si ces compétences n'ont pas été orchestrées, il est garanti que le budget ne sera pas réalisé.
C'est le drame du ferroviaire français. La loi qui a restructuré le monopole de la SNCF a été travaillée par des intermittents qui n'ont pas compris l'échec du ferroviaire français. Ils ont assisté à la division par 6 de sa part de marché sans s'inquiéter de l'amortissement des investissements. La dette augmente tous les ans d'un montant comparable au montant investi. Cela ferait partie de l'ordre des choses selon eux. Finalement, que les "personnels soient las et sans repères", c'est normal parce qu'ils sont toujours de mauvaise humeur … Mais personne ne se souvient de leur fierté quand l'horloge du village était réglée sur le sifflet du chef de gare.
La compétence s'impose. Cette vaine recherche de consensus législatif procède de la fable du "meunier, son et l'âne". Pire, elle fige un référentiel quand les concurrents s'adaptent en permanence. Oui dans son métier de service public strict et monopolistique, la procédure législative intègre la démarche budgétaire. Les compétences pertinentes sont présentent au débat. La moitié de la représentation nationale maîtrise un métier de service public. Mais combien de médecins, d'industriels, de financiers … participent au débat et à la production des lois qui les concernent?
La force de l'Allemagne est de savoir respecter ses ingénieurs… ses gens de métiers. Il aura fallu un demi siècle pour redécouvrir que les 300 apprentis d'Alstom des années 70 étaient mieux formés dans ses ateliers que sur les bancs des écoles.