Les inspecteurs des finances sont, dans la France du début du XXIème siècle, le groupe le plus convoité par les futures belles-mères, car celui ou celle qui sort à l’Inspection est assuré d’une carrière exceptionnelle par les responsabilités et les avantages financiers.
Cette irruption de l’Inspection au sommet des ambitions universitaires s’est faite avec Valéry Giscard d’Estaing, dont le père, lui-même inspecteur de finances, avait fait signer un décret ouvrant à son fils l’entrée direct à l’ENA à condition de sortir dans le premier cinquième sa promotion de l’X ; pour ne pas être trop visible, cette « botte » polytechnicienne avait été offerte à 2 polytechniciens. On connaît la suite de la carrière de Giscard qui saura séduire le Général de Gaulle, être nommé ministre de finances et finalement se faire élire président en 1974 avec l’aide de Jacques Chirac.
Ces deux compères –pour un temps- sauront utiliser les vannes budgétaires ouvertes par un autre inspecteur des finances, Maurice Lauré, inventeur de la TVA. Cet impôt, économiquement très intelligent, est aussi très indolore, et va permettre de doubler les rentrées fiscales de 1960 à 1980 sans que les Français s’en aperçoivent ; il se paie en mangeant, en naissant, en dormant ; il permettra à Giscard de gonfler l’emploi public et nous nous retrouverons en 1981 avec 2,4 millions de fonctionnaires d’État contre 1,4 million en 1966. Les Américains ont jusqu’ici résisté à l’idée d’introduire une TVA en raison des risques de voir le gouvernement fédéral s’en emparer pour grossir la fonction publique.
Les conséquences de cette prise de contrôle de la haute gouvernance française par l’Inspection ont été sévères. L’opinion a grande difficulté à les juger dans leurs postes publics ; on sait seulement qu’ils ont la haute main sur le ministère des Finances, Bercy. Mais que valent-ils réellement ?
Pour le savoir, le mieux est de regarder ce qu’ils donnent lorsqu’ils sont aux postes de direction du secteur privé.
Les Inspecteurs ont déjà perdu au total, plus de 200 milliards d’euros. Ils sont associés aux pertes du Lyonnais avec Jean-Yves Haberer (15 milliards d’euros), de Jean-Marie Messier avec Vivendi, de Michel Bon (60 milliards à France Télécom), de Jean-Michel Bloch-Lainé (Banque Worms 2 milliards), de Yves-Roland Billecart, Pierre Bilger, etc.
Si l’on regarde ce qu’est devenu le secteur bancaire, un de leurs fiefs, le résultat –soigneusement occulté- est que, de 1990 à 2000, sa valeur ajoutée régresse de 27% alors qu’elle augmente dans la plupart des pays développés de l’Ouest, jusqu’à 50%. Depuis 2000, cette valeur ajoutée augmente à une vitesse moitié des services en France et une vitesse trois à quatre fois plus faible que la plupart des secteurs bancaires étrangers.
L’Inspection se fait moins visible, depuis les avatars d’Haberer ou Mercier ; déjà, vers le début des années 1980, elle a jugé préférable de laisser les gouvernes de l’Association des Anciens Élèves de l’ENA (AEENA) à des administrateurs civils.
Il y a eu, il y a et il y aura de grands inspecteurs des Finances.
Ne serait-ce qu’à cause du mécanisme de sélection, il est impossible qu’il n’y ait pas quelques personnes remarquables dans le groupe. Nous avons connu par exemple feu Bernard Lathière, Promotion Albert Thomas, à qui l’on doit Airbus. Ceux qui l’ont bien connu témoignent qu’il était de mœurs modestes et n’a pas cherché à s’enrichir personnellement. Une grande différence avec la plupart des inspecteurs que la modestie n’étouffe pas. Parce qu’à 25 ou 27 ans, sans avoir eu à faire leurs preuves, sur la foi d’un concours, ils sont déjà au pinacle de notre société.
Mais est-il acceptable que seulement 20% des membres du corps de l’Inspection y soient en activité, les autres 80% vaquant à leurs occupations personnelles ? (contre environ 50% à la Cour des compte et au Conseil d’État –ce qui n’est guère plus tolérable-) ; ils se mobilisent au service de l’État lorsqu’il y a de grands postes à pourvoir, comme François Pérol, parti du cabinet de Nicolas Sarkozy, ministre des Finances, pour aller dans une grande banque privée et en revenir du jour au lendemain à l’Élysée lorsque Nicolas Sarkozy fut élu Président de la République.
C’est ce qui séduit les belles-mères, c’est la facilité avec laquelle les inspecteurs passent des postes de puissance de l’État aux positions les plus rentables du secteur privé.
Pourtant, ce qui leur a permis de décrocher la timbale, c’est seulement d’arriver dans les dix premiers à la sortie de l’ENA.
Or, que faut-il pour être dans les 10 premiers ? Le brio intellectuel, être capable d’argumenter avec autant d’autorité le pour ou son contraire, de rédiger une dissertation qui, comme l’expliquait Maurice Lauré, s’exprime en deux parties (on peut se laver les dents dans un verre à pied, première partie, mais, deuxième partie, on ne peut pas se laver les pieds dans un verre à dent), et se termine par une conclusion qui jette un regard sur l’avenir (mais sans prendre position).
Demander à ce genre de formation de produire des hauts fonctionnaires capables de comprendre la petite entreprise, qui est le fer de lance de l’économie, participe de l’utopie.
On l’a vu avec la désinvolture de nos jeunes inspecteurs pour l’investissement direct dans l’entreprise. Les Business Angels sont des visions juste bonnes pour les anglo-saxons et les tenants attardés du libéralisme.
On peut objecter qu’il y a et qu’il y aura toujours à la tête des nations des groupes qui se sont formés lors de leurs études : c’est François Hollande avec la promotion Voltaire de l’ENA, ou David Cameron avec les anciens d’Eton et Oxford, ou les Japonais et l’ex-université impériale de Tokyo, Too-Dai.
Avant Giscard, il y avait, avec les ministres des finances, garagistes comme Roger Monory ou tanneurs comme Antoine Pinay, des ingénieurs des mines. Une autre mafia mais qui avait au moins une épine dorsale formée par la bataille avec une maîtresse difficile : la science ; alors qu’à l’ENA, la seule maîtresse est la parole.
Il est donc extrêmement malheureux de voir tout un système de formation de nos élites qui en laisse tellement sur le tapis. À l’ENA, il y a moins d’un reçu au concours d’entrée sur 10. Les recalés en souffriront toute leur vie. Combien en avons-nous rencontré qui, à 40 ans, se disaient encore diminués par cet échec? Et combien de reçus à l’ENA à qui l’on apprendra à rédiger des discours pour Premier ministre et qui, à la sortie de l’École, se retrouveront à la Dette Publique, dans un bureau souvent triste et minable ?
Tout cela pour permettre à une dizaine chaque année de sortir dans les « grands corps », Inspection, Cour des comptes, Conseil d’État, et d’en profiter pour se faire une carrière sur mesure sans contrainte, comme le rappelait un clip vidéo de François Hollande ? À celui-ci, élu député dans les années 1980, l’interviewer demandait ce qu’il ferait s’il n’était pas réélu et il répondait qu’il serait toujours un privilégié : il retournerait à la Cour des comptes, son corps à la sortie de l’ENA, où il serait payé 15.000 francs par mois à rester chez lui ou 25.000 en allant à la Cour passer quelques coups de téléphone.
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Le rêve des futures belles-mères
Bonjour Bernard,
article envoyé à 24 personnes, car je le trouve plus clair et concret que bien d’autres sur le même sujet
bon courage et amitiés
Yves