Le Journal Du Dimanche du 13 mai dernier publie un très intéressant face à face entre Tareq Oubrou, l’un des imams les plus connus en France et qui avait, on s’en souvient, été décoré de la légion d’honneur par le Maire de Bordeaux pour ses positions avancées, et notre ancien Premier ministre Manuel Valls, un échange de vues sur la position de l’islam dans notre société. A propos de la difficulté qui est souvent évoquée « d’intégrer l’islam dans la société française », cette complexe problématique dont débattaient Manuel Valls et son interlocuteur, celui-ci a finalement fait, contrit, cet aveu inattendu : « C’est vrai que le morceau est un peu gros, et que la digestion va durer un peu ».
Les musulmans appartiennent à une autre civilisation que la nôtre, et la politique d’assimilation, qui est celle de notre République, implique, par définition, qu’ils abandonnent leur identité pour adopter la nôtre. Les immigrés précédents, arrivés au siècle passé en provenance de Pologne, d’Italie, d’Espagne, du Portugal… se sont assimilés facilement car ils appartenaient à notre civilisation, la civilisation occidentale : il ne leur était pas demandé de changer d’identité, c’est-à-dire de civilisation, mais seulement de culture, pour adopter la nôtre. Avec les musulmans, le saut à faire est infiniment plus difficile : il s’agit, pour eux, d’un changement de civilisation, ce qui signifie un renoncement douloureux à tout leur passé civilisationnel.
On ne peut que s’interroger pour tenter de comprendre, d’abord, pourquoi de jeunes musulmans radicalisés sacrifient leur vie aussi facilement en s’attaquant, d’une manière qui nous parait insensée, au monde des « incroyants » que nous constituons, à leurs yeux, dans la conception du monde qu’ils se sont forgée, et, ensuite, pourquoi ils choisissent tout particulièrement la France pour cible ? Les Pouvoirs Publics sont désorientés. Ils ne savent comment agir, et ils consultent, sans fin, des experts. Le figaro du 29 mars nous apprend que les services de protection judiciaire de la jeunesse viennent de faire réaliser une étude visant à tenter de définir un « portrait-robot » des jeunes djihadistes qui passent à l’action. Cette étude n’a pas débouché sur des résultats bien probants. Mais un point important en ressort : « Les mineurs prêts à passer à l’acte sont les plus socialement insérés dans la société » nous disent les chercheurs. Cette constatation va à l’encontre de la thèse officielle qui voudrait que ce soit, avant tout, le sentiment d’exclusion de notre société de consommation qui pousse ces jeunes des banlieues au désespoir.
Ce sont les anthropologues, nous semble- t- il, qui peuvent le mieux nous guider dans la recherche des causes réelles pouvant expliquer le passage à l’acte de ces islamistes radicaux qui, endossant le rôle de martyre, décident de sacrifier, un jour, leur vie au nom de « Allah Akbar ».
Les jeunes djihadistes dont on parle sont souvent nés en France. Ils sont donc Français. Il faut bien comprendre que, néanmoins, ils revendiquent, avant tout, comme identité, leur appartenance à la communauté des musulmans, une communauté qui n’a pas de subdivision en pays ou en nations, la « Oumma ». Dans le message délivré par Mahomet, Dieu a dit aux musulmans qu’ils constituaient la meilleure des communautés qu’il ait jamais créées. Tout croyant de l’islam est imprégné de cette vérité. Ces jeunes djihadistes ne sont pas Français, Anglais, ou Allemands, … mais avant tout « musulmans ».
Il faut rechercher, ensuite, ce que recèle le creuset culturel musulman, en fait de vision du monde occidental. On y trouve, pour le problème qui nous occupe ici, des éléments issus du message du Coran, des souvenirs de la longue histoire des combats menés par les musulmans contre les « chrétiens », et par les « chrétiens » contre les musulmans, pour des conquêtes de territoires, et ce, pendant plus de 13 siècles, et des relents d’humiliations venant de l’hégémonie exercée depuis plusieurs siècles maintenant par notre civilisation occidentale sur les pays musulmans. Tout cela se combine et ne peut se comprendre qu’en s’imprégnant du fait que le monde de l’Occident est issu du monde de la chrétienté, la mutation s’étant faite au XVIIIe siècle, avec ce phénomène historique d’une importance considérable que le philosophe Marcel Gauchet a appelé « une sortie de religion ». Souvent, encore aujourd’hui, les musulmans utilisent, d’ailleurs, au Moyen Orient le terme de « croisés » pour désigner des Occidentaux.
Premier point de clivage : Mahomet a dénoncé toutes les croyances des chrétiens, leur disant que lui seul détient le vrai message de Dieu, et il les a engagés à se rallier à son message. Ceux qui n’accepteront pas de le faire seront traités dans la société nouvelle en citoyens de second rang.
Second point de clivage : Le monde, pour les musulmans, se divise en deux parties : le « Dar al islam » d’un côté, c’est-à-dire les territoires déjà placés sous le règne de l’islam, et le « dar al harb », de l’autre, c’est-à-dire les territoires non encore gouvernés par l’islam. Le devoir de tout musulman est de concourir à l’extension du « dar al islam » afin que le règne de Dieu s’étende à toute la terre. Il va donc s’agir de soumettre les incroyants. Et il est significatif que « dar al harb » signifie « maison de la guerre ».
Troisième point de clivage : Les luttes menées depuis la mort du Prophète Mahomet pour des conquêtes de territoires, luttes d’abord menées par les musulmans contre le monde de la chrétienté, ensuite contre le monde de l’Occident. Il n’y a pas lieu de détailler, ici, cette très longue histoire qui va des conquêtes fulgurantes des cavaliers d’Allah, juste après la mort du Prophète, aux récentes luttes des musulmans, dans la seconde moitié du XXe siècle, contre, les puissances coloniales occidentales qui avaient voulu leur imposer au siècle précédent leur loi. Il y eut l’épisode des Croisades, au XIe siècle, ensuite la longue et difficile « reconquista » de l’Espagne, puis les avancées des Turcs jusqu’à Vienne en 1521, des Turcs Ottomans qui étaient de très vaillants guerriers que les Européens mirent quatre siècles à ramener chez eux, pour que cela s’achève par le démantèlement de l’Empire ottoman à la fin de la première guerre mondiale. Il est utile de rappeler, ici, que les musulmans considèrent que les Croisades, lancées par le Pape Urbain II en 1095, ont été un acte d’agression de la part des chrétiens, alors qu’il ne s’est agi de leur part que d’une tentative pour reprendre aux envahisseurs musulmans des terres qui étaient chrétiennes, des terres où Jésus est né, où il a prêché et où il est mort. Les musulmans avaient enlevé Jérusalem en 637, soit 5 ans seulement après la mort de leur Prophète, à Médine. Autre épisode qui est gravé dans la mémoire collective des musulmans : l’expulsion d’Espagne des morisques, en 1609, après une vaine tentative d’évangélisation des musulmans par les Espagnols, pendant une centaine d’années, après la fin de la Reconquista. La prise de Grenade en 1492 qui a marqué la fin de la domination des musulmans en Espagne avait valu à Isabelle la Catholique et à Ferdinand d’Aragon, son époux, de se voir attribuer par le Pape le titre flatteur de « Rois très catholiques ».
Il est important de noter qu’au cours de cette longue histoire le pays des Francs, puis la France ensuite, ont joué un rôle très important. Les Croisades furent prêchées à Clermont, et ce sont les chevaliers francs qui ont conduit les Croisés ; puis, au XIXe siècle, c’est la France qui a été le pays colonisateur le plus en contact avec le monde musulman. Et, finalement, il y a eu « la guerre d’Algérie » avec les séquelles qu’elle a laissées.
Quatrième et dernier point de clivage : La domination exercée depuis le XVIIe siècle par la civilisation occidentale sur le monde, une civilisation d’ « incroyants », des « sans-dieu » qui ont voulu imposer aux musulmans leurs valeurs, leur mode de vie, et leur façon d’organiser la société. Précédemment, c’était la civilisation musulmane qui avait été dominante, avec ses penseurs et ses savants.
L’islam qui s’était assoupi pendant de longs siècles s’est réveillé avec les luttes contre le colonialisme. On néglige trop souvent cette origine du regain de l’islam et de la nouvelle vigueur qui est la sienne, aujourd’hui. Ce sont, il faut le rappeler, des chefs religieux qui ont réveillé les populations qui étaient par trop soumises : ils ont eu l’habileté de s’appuyer sur l’islam pour lutter contre les puissances occidentales qui étaient venues s’installer dans leur pays. Ce fut, notamment, le cas en Egypte avec Hassan al Banna qui créa le mouvement des Frères Musulmans, en 1928, et en Algérie, avec le cheikh Abdelhamid Ben Badis qui créa l’« Association des Oulémas musulmans », en 1931. Et ces initiatives se conjuguèrent avec les coups de force menés avec succès contre de grandes sociétés occidentales par deux hommes politiques d’exception : Mossadegh, en Iran, qui eut le front de nationaliser en 1951 l’Anglo-Persian Oil Company, l’APOC, qui était sous contrôle britannique depuis 1913, et le colonel Gamal Abdel Nasser, en Egypte, qui nationalisa la compagnie du Canal de Suez, en 1956. Toutes ces victoires sur les pays occidentaux trouvèrent leur couronnement dans l’accès à l’indépendance de l’Algérie, en 1962 , après 7 années de lutte contre l’armée française. La victoire du FLN en Algérie fut certainement le moment le plus fort de ces luttes victorieuses des musulmans contre les puissances occidentales, du fait que la France avait annexé ces terres, de l’autre côté de la Méditerranée, à son territoire en en faisant trois départements français.
Il y a donc dans l’antagonisme existant entre le monde de l’islam et celui de l’Occident, des éléments d’ordre doctrinal ou philosophique, des facteurs historiques, et des considérations qui expliquent les blessures d’amour propre qui sont profondément ressenties aujourd’hui par les musulmans. Emmanuel Macron, dans l’hommage qu’il a rendu au colonel Beltrame, aux Invalides, a parlé de « notre lutte contre cet islamisme souterrain qui prospère », et son ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a, le lendemain, évoqué « la nécessité d’un combat culturel ».
Les musulmans qui viennent s’installer dans nos pays, en Europe, portent dans leur inconscient les marques indélébiles des évènements du passé que nous avons rappelés plus haut. Il s’agit d’un problème d’inconscient collectif, et les scientifiques ont découvert, tout récemment, que ces éléments culturels sont, en fait, dans les gènes des individus. Edward O. Wilson, le créateur de la sociobiologie, au milieu des années 1970, nous a appris, en effet, que les phénomènes de culture se transmettent par ce que Dawkins a appelé des « mèmes », une nouvelle classe de réplicateurs dont on ignorait l’existence jusqu’ici. Il y a une co-évolution gènes-culture : l’expression culturelle est vue, par ces scientifiques, en continuité avec l’expression biologique. Il s’agit, comme pour les évolutions biologiques soumises au phénomène de la sélection darwinienne, des problèmes de comportement adaptatif à l’environnement. Les populations européennes ignorent tout de ces phénomènes, et elles ne comprennent donc pas pourquoi ces nouveaux immigrés en provenance des pays islamiques ne s’assimilent pas comme l’avaient parfaitement fait, avant eux, les autres immigrés. Abdelwahab Meddeb nous dit dans « La maladie de l’islam » paru en 2002 : « Le sujet islamique devint peu à peu l’homme du ressentiment ».
Les musulmans installés en Europe ont donc la ferme volonté de conserver leur identité. Ils refusent d’en changer. Leur sens de l’honneur leur interdit de se désolidariser de leur monde, d’autant qu’ils sont fiers des prouesses que l’islam vient de réaliser, avec en particulier le succès des luttes qui ont été menées pour l’indépendance dans leur pays d’origine. La très grande majorité d’entre eux s’accommode de la façon dont nos sociétés sont organisées, tirent habilement profit des avantages sociaux que les législations de ces pays leur accordent, mais ils revendiquent haut et fort le droit de conserver leur identité, ce que le Conseil de l’Europe à Strasbourg les autorise, voire même les encourage, à faire. Ils exigent donc que les sociétés d’accueil s’adaptent, à leur tour, à leur culture.
Quelques-uns d’entre eux, que l’on qualifie de « musulmans radicalisés » voient dans la réalisation d’attentats contre les kouffars (mécréants) que nous sommes, la sublimation de leur mission sur terre. Leur haine de l’Occident est forte, et ils se sacrifient dans des attentats sanglants avec la certitude d’agir dans la voie de Dieu.
Claude Sicard
Auteur de « Le face-à-face islam chrétienté : quel destin pour l’Europe ? »
Et « L’islam au risque de la démocratie », préface de Malek Chebel (Ed F.X de Guibert )
3 commentaires
Je vous sommes de me réfuter .
Je vous sommes de me réfuter : l’Islam, dont le Coran est un outil politique de destruction du christianisme, est de surcroît un faux et usage de faux, ainsi que le démontrent mathématiquement ces trois livres :
https://www.islam-et-verite.com/coran-revele-theorie-codes/
https://legrandsecretdelislam.com/
https://www.babelio.com/livres/Caldwell-Une-revolution-sous-nos-yeux-Comment-lIslam-va-t/305602
Sinon : https://ripostelaique.com/lislam-cest-un-oradour-sur-glane-par-jour-depuis-1400-ans.html
Ce sont encore deux congrégations, les trinitaires (https://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre_des_Trinitaires) et les mercédaires (https://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre_de_Notre-Dame-de-la-Merci ), fondées pour libérer les chrétiens prisonniers des barbaresques, en leur substituant des martyrs ; ce sont encore la moitié des 7000 martyrs (étymologiquement, tués en témoignage de leur foi) inscrits au Martyrologe romain de 2004 ; ce sont encore la majorité des écrivains et musiciens, de Ronsard, Mozart, Voltaire, à Victor Hugo (http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/victor_hugo/chanson_de_pirates.html), tous passibles de 7 ans de prison et 100 000€ d’amende pour islamophobie, officiellement l’incitation à la haine raciale : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lois_contre_le_racisme_et_les_discours_de_haine
https://www.causeur.fr/anne-hidalgo-rue-alain-antisemitisme-150258?utm_source=interne&utm_medium=sidebarshare
jihad : il faut documenter l’histoire du coran
Pour se développer, la pensée du Coran a été évidemment tributaire des conditions matérielles et morales de l’époque qui l’a vu naître. Lors de la période fondatrice de l’islam au 7° siècle, les contemporains de Mahomet ont vécu l’apocalypse : déclin de l’Empire Romain d’Orient , épidémie de peste bubonique dévastatrice. Dans les tribus bédouines des déserts d’Arabie, le besoin a été la lutte pour la survie du groupe. Le Coran reproduit l’ambiance guerrière de cette époque, et même des siècles suivants puisque la première version complète connue du Coran a été écrite 200 ans après la mort du prophète.
Les conquêtes arabes ont assuré les succès religieux, les deux étant à l’époque intimement liés. La lutte des chrétiens contre les infidèles a été transposée chez les musulmans. Le « jihad » a progressivement évolué du besoin initial d’autoprotection vers une version plus offensive et belliciste. Les Califes du 7° et 8° siècle ont introduit de quoi alimenter leur guerre contre l’armée romaine (chrétiens), d’une autre ampleur que les razzias traditionnelles. Il fallait motiver les combattants et faciliter leur recrutement (paradis garanti avec 72 épouses aux yeux de biche), et aussi de quoi établir leur suprématie sur les Califes concurrents en apparaissant comme les meilleurs musulmans. Le Coran étant devenu la parole d’Allah pour mieux asseoir encore mieux l’autorité du Calife, les écrits bellicistes ont – hélas – été sanctifiés pour l’éternité.
Au 20° siècle avec l’effondrement de l’empire ottoman, le « salafisme » contemporain a rendu le système religieux encore plus figé et intangible, en décalage avec l’époque actuelle où les autres religions ont mieux accepté les innovations (Ernest Renan, Vatican II, ..). Il a créé une fracture irréductible et potentiellement violente avec ceux qui n’obéissent pas à ses règles. Puis le jihad contemporain, dans sa version armée, fut « inventé » – théorisé et mis en pratique – par un Frère musulman palestinien, Abdallah ‘Azzam, parti combattre l’Armée rouge qui avait envahi l’Afganistan. Les « fondamentaux » dont ‘Azzam fit usage pour bricoler son corps de doctrine, furent fort utiles alors pour attirer du monde entier des musulmans égarés entre modernité et tradition sur le champ de bataille afghan – où le martyre leur permettrait de subsumer ces tensions insurmontables. Mené avec l’appui de la CIA et le soutien financier des petromonarchies, ce « combat sacré » victorieux a rappelé aux salafistes jihadistes leurs victoires passées menées au nom d’Allah et les a encouragé à poursuivre dans cette voie. Et le regain actuel de la pensée radicale dans le monde alimente aussi ce courant.
Cherchez l’erreur
Dès l’origine, l’islam est basé sur la prédation, donc la destruction. Et vous voudriez que ses tenants gagnent la compétition ?
« pendant plus de 13 siècles, et des relents d’humiliations venant de l’hégémonie exercée depuis plusieurs siècles maintenant par notre civilisation occidentale sur les pays musulmans » : Pour une question de « pureté » comment peut-on vouloir revenir aux origines, c’est à dire au 7° siècle, et ne pas subir une hégémonie pendant les siècles suivants ?
Les juifs, à l’inverse, ont évolué et n’ont pas de rancoeur vis à vis des Égyptiens qui les avaient réduits en esclavage.
Les chrétiens ne cherchent pas à reconquérir les lieux saints, que je sache.
En conclusion, les musulmans s’auto-excluent et ensuite, s’en prennent à ceux qui les ont distancés.