Page d'accueil Études et analyses Le coût de la protection sociale étrangle le revenu des salariés français, et gonfle les déficits.

Le coût de la protection sociale étrangle le revenu des salariés français, et gonfle les déficits.

par Bertrand Nouel
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Un récent sondage Harris, réalisé pour le Conseil des prélèvements obligatoires, montre que les Français estiment à 78% payer trop d’impôts et de cotisations sociales.

En même temps, ils restent très majoritairement défavorables à une baisse des dépenses publiques en contrepartie d’une baisse des impôts et cotisations : par exemple seuls 28% d’entre eux accepteraient une baisse des dépenses de retraite et 29% une baisse des dépenses de santé.

Ce qui ne les empêchent pas d’être critiques à l’égard de l’utilisation que fait l’État des fonds publics.

Que les Français estiment trop payer de prélèvements obligatoires n’est ni surprenant ni significatif : qui serait heureux d’y être contraint ? En revanche, les Français ne paraissent pas conscients du caractère non pérenne de la situation dans laquelle ils se trouvent.

Il est usuel en France et en Europe de rapprocher les dépenses publiques de protection sociale de leur part dans le PIB, et non pas de les calculer en euros, de façon à neutraliser les facteurs conjoncturels.

Il est exact que la France souffre d’un PIB par tête insuffisant, mais en même temps les Français paraissent opposés plus que dans les autres pays à travailler davantage, et l’accepteraient-ils qu’il n’est pas évident que le problème du gonflement assez vertigineux des dépenses sociales serait résolu.

Nous proposons une approche plus directe de ce gonflement et de la nécessité d’y remédier en mettant en rapport le rythme de l’évolution des dépenses sociales avec celle des facultés contributives des Français.

Précisions.

La protection sociale couvre les domaines suivants : santé (maladie, maternité, invalidité), vieillesse (retraites et survie), famille, accidents du travail, emploi (chômage et insertion), logement, pauvreté et exclusion sociale.

En 2023, les prestations totales ont atteint 888 milliards d’euros, en augmentation de 3,6% par rapport à l’année précédente (auxquels il faut ajouter 45Mds de frais). Les prestations atteignent 13.050 euros par habitant.

La partie la plus importante de la protection sociale vient de la Sécurité sociale (672 milliards en 2023), qui couvre les régimes de base des branches maladie, vieillesse, accidents du travail, famille et autonomie. Son budget est voté chaque année au titre du PLFSS (projet de loi de financement de la Sécurité sociale), qui vient d’être voté, concurremment au PLF (projet de loi de financement de l’État), qui reste encore à être débattu et, espérons le, voté. Dans la réalité, il existe de nombreux enchevêtrements entre PLF et PLFSS. Dans la suite de cet article, nous nous intéressons à la protection sociale dans sa globalité.

Quelles évolutions ?

Le tableau suivant compare l ‘évolution, entre 1996 et 2023, du montant des prestations sociales et de leur financement, (avant et après prise en compte de l’inflation et correction due à la variation de population), avec celle des salaires moyens.

(chiffres en Mds d’euros)

19962000/19962010/20002023/20102023/1996
Prestations sociale
en euros courants
357+13%+53%+43%+249%
Ressources totales en euros
courants
378+7%+38%+50%+269%
dont 
: Cotisations totales
: ITAF1
: Contribution publiques
283
32
55
291
87
53
408
152
68
528
289
125
Effet inflation et population+5,5%+21%+25%+61%
Prestations en euros constants
+effet population
357+7,5%+32%+18%+188%
Ressources en euros constants
+effet population
378+1,5%+17%+25%+208%
Salaire moyen net mensuel2100103,6109,8113+13%

Lecture : Entre 2010 et 2023, les ressources de la protection sociale ont augmenté de 50% en euros courants et de 25% en euros constants et après correction due à la hausse de la population (50-25). Pendant la même période, les salaires n’ont en moyenne augmenté que de 3,2% en euros constants (113-109,8).

Commentaires.

1.On observe une disparité très importante entre les hausses qu’ont connues d’une part les prestations sociales et leur coût, et d’autre part les salaires moyens. Ainsi les prestations ont atteint en 2023, 249% de ce qu’elles étaient en 1996, soit 188% au-dessus de ce qu’elles auraient été si elles avaient augmenté du seul fait de l’inflation et de l’augmentation de population. Les chiffres sont un peu supérieurs pour les ressources (269% et 208%).

En revanche, du côté des salaires, le salaire moyen n’a été supérieur en euros constants que de 13% à celui de 1996.  Rappelons à ce sujet l’effet à terme de l’instauration des 35 heures qui a provoqué une modération ultérieure des hausses de salaire.

L’effet cumulé pendant 27 ans d’une augmentation des prélèvements chaque année ou presque nettement supérieure à l’inflation et à l’évolution des salaires se révèle donc considérable. Et le tableau montre que la tendance n’est nullement en train de s’infléchir puisque pendant les 13 dernières années les ressources de la protection sociale ont augmenté de 25% de plus que l’inflation (et après correction relative à la population) alors que les salaires n’ont augmenté en euros constants que de 3,2%.

2.La structure du financement a été assez fortement modifiée depuis 1996, mais sans changer, sauf à la marge, le fait que ce financement continue à reposer sur le travail. 

La modification principale tient à l’institution de la CSG en 1991 puis de la CRDS (affectée au  remboursement des dettes de la CADES), et à l’augmentation régulière du taux de la CSG. La CSG vient remplacer certaines cotisations sociales salariales comme celles du risque maladie, mais insuffisamment. Pour les salaires au-delà du PASS (44.000 € annuels), les cotisations salariales (CSG incluse) atteignent 21% en 1996 et se maintiennent à très peu de choses près à ce niveau depuis.

De leur côté, les charges patronales sont très élevées dès lors qu’elles concernent des salaires bruts au-dessus de 2,5 Smic, puisqu’elles peuvent atteindre 47% du salaire brut. Les cotisations patronales sont à inclure dans la rémunération des salariés puisqu’elles financent les prestations (assurance maladie) ou représentent des salaires différés (retraites), et à ce titre elles figurent dans le total de 528 milliards cotisé en 2023.

En 2021, les cotisations patronales couvraient 38% du financement total, les cotisations salariales 17%, la CSG 20% (129 milliards) et les autre ITAF 17%.

Parmi ces dernières, une partie importante de la TVA est maintenant affectée au financement de la protection sociale (54 milliards), cependant que 58 autres milliards proviennent de divers impôts ( taxe sur les salaires, CSA, forfait social).

Au total, les salariés restent bien et de loin les principaux contributeurs directs (cotisations, CSG) ou indirects (TVA) du financement de la protection sociale. Il ne faut guère en exclure que la part, modeste, de la CSG reposant sur le patrimoine (17 milliards).

3.Bien entendu, en contrepartie du financement de la protection sociale, les Français perçoivent de nombreuses prestations. 

Ils en sont conscients, puisqu’ils répondent au sondage que nous avons évoqué, qu’ils sont toujours très majoritairement défavorables à une baisse des dépenses publiques en contrepartie d’une baisse des impôts et cotisations.

Mais ils contestent l’utilisation par l’État des ressources publiques.

Hélas, vouloir une baisse de la fiscalité tout en excluant une baisse des dépenses publiques, sociales en l’occurrence, est une illusion. Les chiffres que nous avons indiqués sont sans appel : alors que, en euros constants, les salaires n’ont en moyenne augmenté que de 13% entre 1996 et 2023, les ressources, donc les coûts de la protection sociale, dont le financement repose en très grande partie sur les revenus du travail, ont eux plus que doublé.

Les causes en sont multiples : le caractère exponentiel des écarts dans le temps entre salaires et prestations, les progrès de la médecine, l’allongement de la vie, l’évolution mal orientée de la démographie. S’y ajoute encore l’effet depuis le début du siècle d’une insuffisance du PIB, car les salaires et les prélèvements obligatoires évoluent de façon « élastique » par rapport au PIB, alors que les dépenses publiques évoluent de façon indépendante et en rapport avec l’inflation, de sorte qu’une stagnation du PIB se traduit automatiquement par une évolution plus forte des dépenses que des salaires et prélèvements. Nous en avons la preuve avec un budget de l’assurance maladie (l’ONDAM) prévu pour être en augmentation de 3% en 2026, alors que la croissance ne serait que de 1%…

Enfin, sauf pour les prestations contributives (les retraites au premier chef), les prestations sociales reflètent de plus en plus l’exigence de solidarité, très présente en France. Or ceux des travailleurs qui se trouvent au milieu de leur carrière contribuent en général bien plus qu’ils ne reçoivent de prestations. Ce sont aussi ceux qui se définissent comme des « Nicolas qui paient » pour les autres et contestent l’excès des prélèvements qu’ils doivent acquitter…

Conclusion.

La conclusion est claire : Il est impossible de continuer sur la même voie, où les facultés contributives des acteurs du travail (entreprises et salariés) s’éloignent de façon exponentielle des exigences du financement de la protection sociale. La CSG avait été inventée avec la CRDS en 1991 pour compléter les ressources nécessaires grâce à une assiette plus large que celle des cotisations, mais avec des taux inférieurs à celui applicable aux salaires, notamment pour les retraites. De nouveau la CADES (caisse d’amortissement de la dette sociale) va devoir reprendre les dettes sociales3 (100 milliards à l’échéance 2029 selon la Cour des comptes) et la CRDS devra être mise à contribution.

Depuis déjà quelques années le recours à la TVA, ressource normale de l’État, se fait de plus en plus important pour compléter les ressources ( chiffre multiplié par 5 en 7 ans), et en 2023, 57 milliards ont été affectés à la protection sociale sur un total de 205 milliards, soit plus de 20%. Ce sont donc 57 milliards qui ont été distraits des recettes du PLF pour abonder celles du PLFSS , avec comme corollaire une augmentation correspondante du déficit de la France et du recours à l’emprunt.

On le voit, la France continue d’augmenter ses dépenses de protection sociale et se trouve contrainte d’utiliser les ressources du budget général de l’État, et donc de creuser d’autant son déficit. Jusqu’où la France pourra-t-elle ne répondre qu’avec l’augmentation de son déficit, sans remettre en cause son modèle social ?

Le PLFSS pour 2026 vient d’être voté. Et ce n’est pas cette année que quelque chose va changer, puisque le déficit des régimes de base et du fonds de solidarité vieillesse est censé atteindre 24 milliards après avoir atteint 10,8 Mds en 2023, 15,3Mds en 2024 et 23 Mds en 2025. En plus des taxes affectées du budget général, il est attendu que l’État transfère 4,5 Mds de ses ressources pour diminuer le déficit de la Sécurité sociale, mais cela nécessite encore l’autorisation de l’Assemblée nationale par le vote du PLF pour 2026, ce qui est très loin d’être acquis. Où va-t-on ?

Dernière remarque. Il est exact comme nous l’avons vu que le financement de la protection sociale repose essentiellement sur le travail, et que les salariés peuvent légitimement se plaindre d’en supporter le coût exagéré comparé notamment à l’évolution très lente de leurs salaires. Ce sont les actifs qui sont mis le plus à contribution, notamment pour payer les retraites. Il sera nécessaire  de prendre très rapidement le sujet à bras le corps. Et dans le même ordre d’idées, il est de toutes façons impossible de ne pas avoir pour priorité l’augmentation du volume de travail – ce qui se traduit essentiellement par l’augmentation du taux d’emploi des jeunes et des seniors.


  1. Les impôts et taxes affectés (ITAF) à la protection sociale sont en plus grande partie la CSG et en second lieu la TVA. ↩︎
  2. Les années 2000, 2010 et 2023 sont sur base 100 en 1996 et en euros constants. Il s’agit de l’évolution des salaires moyens nets en EQTP publiés par l’INSEE. ↩︎
  3. L’ACOSS (agence centrale des organismes de sécurité sociale), qui gère les finances de la Sécurité sociale, ne peut emprunter qu’à court terme et risque de se trouver devant un problème de liquidité. La reprise des dettes par la CADES suppose l’adoption d’un plan de redressement. ↩︎

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