Rien de nouveau sous le soleil généreux de cet été. Pour la troisième fois, le berger aura vaincu le roi, bien que ce dernier ait bénéficié de l’onction électorale. Les trois grandes réformes sociales auxquelles se sont attelés les gouvernements Hollande et Macron se seront en effet soldées par des reculades sensibles : le droit du travail, l’assurance chômage et maintenant les retraites.
Le droit du travail en premier. Ni la loi El Khomri, ni les ordonnances Macron n’auront réussi à réformer le droit du travail de façon suffisante. Les 35 heures restent en vigueur, de même que la définition restrictive de la cause réelle et sérieuse du licenciement, ainsi que l’omnipotence persistante des syndicats dans la passation des accords collectifs d’entreprise où les syndicats sont absents de même que dans les accords de branche toujours systématiquement objets d’extension. A quoi s’ajoute l’absence de révision de la représentativité des syndicats et de leur financement. Laurent Berger a beau publier son livre « Syndiquez-vous », ce ne se fera pas sans réforme. Le principal reste à faire dans ce domaine.
Dans le cas de l’assurance chômage, le gouvernement a certes repris les choses en main devant les partenaires sociaux. La CFDT n’est pas contente des coupures dans les indemnités et tient à le répéter, mais sa revendication essentielle sur le sujet brûlant des contrats précaires auxquels le patronat s’opposait est quand même satisfaite, et les réformes paramétriques d’accès aux indemnités ne sont pas véritablement abordées – sauf au détriment des cadres.
Et maintenant, que va devenir la réforme des retraites ? Comme dans les autres réformes, c’est la CFDT de Laurent Berger qui en dictera les termes, et Jean-Paul Delevoye qui se retrouve désavoué quasiment au dernier moment. Il est en effet indispensable d’empêcher la reconstitution de l’union entre CGT et CFDT. La CGT prend la position simpliste et sans nuance de prôner l’augmentation des impôts et cotisations comme seule solution au déséquilibre du financement des retraites. Laurent Berger accorde quant à lui son satisfecit à la volte-face du Président sur le sujet de l’âge de la retraite et le mécanisme de l’âge-pivot, qui, il faut bien l’avouer, relevait d’une parfaite hypocrisie. Il faut bien reconnaître aussi que cette réforme essentielle tient à résoudre beaucoup trop de questions à la fois : celles du financement, du régime à points, de la valeur du point, de la fusion des 42 régimes, du désamorçage de la bombe des régimes spéciaux et plus généralement de la détermination des inévitables perdants…
Le gouvernement évoque maintenant une durée d’une année pour présenter un nouveau système. Ce serait à vrai dire un succès inespéré s’il parvenait dans ce temps à obtenir l’appui de Laurent Berger sur une réforme satisfaisant les différentes ambitions annoncées. Pour le moment le syndicaliste ne s’est pas contenté de répondre « on verra » à la question de savoir si un accord est envisageable, il a enfoncé douloureusement le clou.
Interviewé sur RTL en effet, Laurent Berger ne dissimulait pas sa satisfaction d’avoir fait plier le chef de l’Etat sur la question de l’âge de la retraite auquel on devrait – peut-être ! – préférer la durée de cotisation comme paramètre. Patelin, il notait que ce dernier avait enfin « compris » qu’on ne pouvait pas gouverner « tout seul » de manière autoritaire et il en remerciait presque les Gilets jaunes, devenus ses alliés objectifs, d’avoir fait « peur » à la France et donc au gouvernement. Sur le fond de la réforme, il y a bien sûr selon lui, beaucoup d’autres problèmes qui ne sont pas réglés : l’augmentation du minimum de retraite, la retraite progressive, les régimes spéciaux… et le syndicaliste élargissait jusqu’au défis de la pauvreté, des inégalités, de l’écologie. Surtout, il insistait sur le fait que le régime des retraites ne posait plus de problème financier et qu’il n’y avait aucune urgence. Ouf !
En affirmant qu’il n’y a pas de problème financier, le syndicaliste nie d’emblée la légitimité de l’ambition essentielle du gouvernement. Nous avons donc une CGT pour qui toute solution du problème financier passe par de nouvelles hausses de la fiscalité, et une CFDT pour qui il n’y a pas de problème financier. Laurent Berger l’a répété encore plus clairement à France Inter, ne craignant pas de contredire frontalement les dernières conclusions du COR sur l’équilibre financier du régime qui ne sera pas atteint sans réforme, et ajoutant, pour faire bonne mesure, que ni l’institution d’un âge pivot ni l’augmentation de la durée de cotisation n’étaient acceptables, et que de toutes façons il fallait résoudre les questions de la pénibilité, de la retraite progressive, de l’augmentation des minima sociaux et du RSA…
Laurent Berger a pris Emmanuel Macron dans ses rets, et la paralysie s’annonce. Plus simple à gérer, et en accord avec la réalité des chiffres, la CGT prône l’augmentation des impôts ou des cotisations mais n’a aucune chance d’être entendue ni soutenue par la population. La position de la CFDT, qui consiste à noyer le poisson en niant l’existence d’un problème financier, est en revanche beaucoup plus redoutable. Et pourtant, selon le COR, le besoin de financement dans le régime actuel serait encore de 15 milliards en 2025, sans compter que jouer sur la durée de cotisation serait environ trois fois moins efficace financièrement que sur l’âge pivot si l’on renonçait à cette dernière solution comme le laisse entendre Emmanuel Macron.
Impossible de savoir ce que va devenir la réforme des retraites dans ces conditions. Laurent Berger trouve que la consultation « ne démarre pas bien ». Favorable au remplacement de la retraite actuelle calculée par trimestres acquis par la retraite à points, il refuse que l’on « coure plusieurs lièvres à la fois », la réforme ne pouvant selon lui n’avoir qu’un aspect qualitatif de justice sociale sans aucun aspect financier, et personne ne doit perdre. Dans ces conditions, la réforme va s’enliser et on n’est pas près de voir les 42 régimes s’uniformiser. Incontournable, la CFDT, pas plus que les autres syndicats, ne peut être l’interlocuteur qui satisfera les ambitions gouvernementales.