Une étude de l’Insee parue dernièrement montre que ce sont les ETI qui ont été les principales créatrices d’emplois ces dernières années en France. On ne peut que saluer la publication d’une telle étude par l’Insee, l’une des rares sur le sujet de la création d’emplois… Mais à l’examen, elle est relativement pauvre et montre surtout que pour l’essentiel, l’Insee ne se pose pas les bonnes questions en ce qui concerne le processus de création d’emplois, qu’il serait pourtant si fondamental de comprendre.
La première constatation intéressante de ce rapport [[« Les entreprises en France », Insee, paru le 9 novembre 2017.]] est que l’Insee reconnait peu ou prou qu’il y a bien un véritable effet de seuil autour des 50 salariés, du fait des contraintes (élections professionnelles, etc.) attachées au franchissement de ce seuil :
– « [Appartenir à un groupe] est caractéristique au voisinage du seuil de 50 salariés : en deçà de ce seuil, la formation de groupes s’intensifie et au-delà, les unités légales se multiplient dans les groupes déjà constitués. »
– « [Des] unités légales, à l’approche du seuil des 50 salariés, choisissent de former un groupe en créant une seconde unité pour continuer à se développer ; elles évitent ainsi certaines obligations légales ou réglementaires qui incombent aux unités légales de 50 salariés ou plus. »
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’étude ne s’intéresse pas aux dites « unités légales », correspondant à une entité juridique – personne morale ou physique – dotée d’un numéro Siren, mais plutôt à une définition économique de l’entreprise, c’est-à-dire « la plus petite combinaison d’unités légales qui constitue une unité organisationnelle de production de biens et services jouissant d’une certaine autonomie de décision, notamment pour l’affectation de ses ressources courantes » [[Ceci selon la définition établie par le décret du 18 décembre 2008 pris en application de la loi de modernisation de l’économie (LME)]].
L’Insee a donc rassemblé les unités légales faisant partie d’un groupe puis effectué un profilage pour identifier au sein des groupes la ou les entreprises pertinentes. C’est ce retraitement particulier qui lui permet de dire que les entreprises de taille intermédiaire (entre 250 et 5.000 salariés) sont les championnes de la création d’emplois. Entre 2009 et 2015, les ETI ont créé 337.500 emplois. Sur la même période, les grands groupes ont un solde négatif de 80.700 emplois et les micro-entreprises affichent elles aussi un recul de 98.900 emplois en équivalent temps plein (ETP).
Faut-il s’étonner de ces chiffres ?
En réalité non. Comme nous l’avions indiqué dans un précédent article, on sait que c’est une toute petite minorité d’entreprises qui explique l’essentiel de la création d’emplois et ceci est probablement valable pour la plupart des pays, en tout cas les pays anglo-saxons.
Une étude de l’Insee montre que sur la période 1993-2003, 5% des entreprises françaises ont été à l’origine de 50% des créations brutes d’emplois[[Direction des Études et Synthèses Économiques, Les gazelles en France, Claude PICART, février 2006. http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/docs_doc_travail/g2006-02.pdf]]. Les études faites à l’étranger semblent confirmer l’universalité du phénomène puisque ce chiffre est quasiment le même au Royaume-Uni où 6% des entreprises sont à l’origine de 50% des créations brutes d’emplois (étude Nesta[[The vital 6 per cent, How high-growth innovative businesses generate prosperity and jobs, Nesta, octobre 2009 : http://www.nesta.org.uk/sites/default/files/vital-six-per-cent.pdf]]) et aux États-Unis où 1% des entreprises sont responsables de 40% des créations (étude Kauffman[[Kauffman Foundation Research Series : Firm Formation and Economic Growth High-Growth Firms and the Future of the American Economy, Dane Stangler, mars 2010.]]). On nomme ces entreprises les high growth firms ou entreprises à forte croissance.
S’il est difficile d’avoir des statistiques sur l’ensemble des entreprises à forte croissance, une étude Irdeme montre cependant que nous possédons deux fois moins de jeunes entreprises à forte croissance que le Royaume-Uni et qu’elles créent quatre fois moins d’emplois. Ces études montrent également une corrélation directe entre la création d’emplois et le montant des capitaux levés par ces entreprises à forte croissance, qui sont ainsi trois fois moins importants en France qu’au Royaume-Uni.
L’Insee le dit-il ? Non. Malheureusement le chapitre sur la création d’emplois est extrêmement pauvre, essentiellement descriptif et non analytique, et l’Insee ne s’intéresse pas aux véritables facteurs de croissance des entreprises. Surtout, ce constat est l’occasion de se demander : pourquoi les autres catégories d’entreprises n’ont-elles pas créé des emplois sur cette période ? Par ailleurs, l’Insee compare-t-elle la création d’emplois salariés privés dans la période post-crise aux autres puissances occidentales pour nous positionner réellement par rapport aux autres ? Les derniers chiffres de l’OCDE sont éloquents pour montrer que la France n’a pas du tout bénéficié de la reprise comme c’est le cas pour les autres pays. Si l’on retranche l’emploi dans la fonction publique de l’emploi total, on constate que, non seulement la France est en retard par rapport à ses voisins, mais que son retard en emplois marchands s’est aggravé ces dernières années.