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L’INSEE censure toute critique interne

par Bernard Zimmern
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En 1997, profitant du fait qu’aucun membre du syndicat maison (des Administrations et Inspecteurs Généraux de l’INSEE) n’était à jour de ses cotisations, sauf eux, deux administrateurs de l’INSEE s’élisent respectivement secrétaire général et président du syndicat. Cette opération a l’allure d’un énorme canular monté par deux potaches. Mais ils ont le tort de déclarer qu’ils vont être honnêtes et ne pas hésiter à dénoncer abus, avantages et privilèges des hauts fonctionnaires de l’INSEE.

Cette élection sera validée, après des années, par le tribunal de Vanves chargé des conflits syndicaux. Mais avoir à la tête du syndicat maison deux fonctionnaires qui ont leur franc-parler et ne sont pas aux ordres, est inacceptable pour Paul Champsaur, le directeur de l’INSEE, ainsi que pour Georges Consolo, son secrétaire général ; l’INSEE est resté une division du ministère des Finances et admettre la contestation c’est voir s’ébranler tout le pouvoir de Bercy. D’autant qu’un syndicat jouit de pouvoirs et de privilèges énormes.

Ils interdisent d’abord physiquement l’accès des salles de vote à nos deux rebelles et les empêchent de présenter des listes aux élections des délégués, créent un syndicat concurrent peuplé essentiellement de fonctionnaires de la hiérarchie de l’INSEE, et tentent de se débarrasser des gêneurs, et particulièrement de son secrétaire général, Pascal Gobry, en le licenciant de la fonction publique.

Les licenciements de fonctionnaires se comptent en France sur les doigts d’une main, surtout de hauts fonctionnaires comme Gobry dont la nomination ou le licenciement dépendent du Président de la République. Même avoir tué père et mère, n’est généralement pas suffisant pour être révoqué.

Mais le cas Gobry est apparemment plus grave puisqu’un premier conseil de discipline est convoqué pour demander la sanction. Les représentants du personnel n’acceptent pas la révocation, et les représentants de l’administration refusent des sanctions plus douces, ce qui va permettre de reconvoquer ultérieurement un deuxième conseil de discipline sur les mêmes motifs.

Cette fois le compte de Gobry est bon ; un membre du personnel, Tapiero, qui siège à ce conseil et qui est aussi trésorier du syndicat, clone constitué par la direction de l’INSEE, change de camp et vote la révocation.

La séance du conseil a été relatée par une journaliste de Libération que Gobry, qui ne manque pas d’idées, avait fait participer à ce conseil de discipline comme l’un de ses défenseurs.

Trois ans plus tard, suite à un recours en annulation de la révocation devant le Conseil d’État, le commissaire du gouvernement conclut à l’annulation de la révocation au motif que le vote décisif de Tapiero ne pouvait être impartial et que les autres motifs de révocation donnés par le directeur de l’INSEE sont insuffisants.

Ceci provoque le lendemain une note en délibéré du ministre des Finances.

Cette procédure est inusuelle car en principe après le rapport du commissaire, l’instruction est close. Mais il arrive que les parties, pour compléter l’éclairage de la Cour, ajoutent ainsi quelques éléments.

Ici, de façon encore plus inusuelle, le Conseil renvoie l’affaire à l’instruction.

C’est que le ministre des Finances a obtenu, sous serment, une attestation des membres du syndicat clone pour dire qu’un détail sur lequel s’était appuyé le commissaire du gouvernement pour justifier le manque d’impartialité, était faux. Ce qui donne le prétexte pour rouvrir l’instruction.

Mais pour, un mois plus tard, annoncer qu’après tout, les déclarations sous serment étaient erronées. Et de reprendre les arguments déjà largement échangés lors de l’instruction.

Un mois plus tard, le commissaire du gouvernement émet un nouveau rapport qui, cette fois, est conforme aux vœux de la direction de l’INSEE : le jugement de Tapiero était impartial et les autres motifs de révocation suffisants pour la justifier. La révocation est maintenue.

Ceci est non seulement un testament à la toute-puissance de la hiérarchie en général et à celle du ministère des Finances en particulier. Il montre que si nous voulons libérer en France les forces du changement, qui au sein même de l’administration sont prêtes à se réveiller pour la faire évoluer, il nous faudra des lois qui protègent ceux qui ont le courage de se révolter et de mettre sur la place publique les secrets honteux du système. Comme le Public Interest Disclosure Act de 1998 au Royaume-Uni.

Paul Champsaur, du corps des Administrateurs de l’INSEE, sera nommé à l’Inspection des finances qui, comme l’INSEE, dépend aussi de Bercy, mais où les traitements et retraites sont plus verts qu’à l’INSEE.

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