Il est surprenant de voir le monde économique accepter presque sans sourciller toute une série d’affirmations économiques dont les démonstrations témoignent de la légèreté de l’auteur, sinon de son infantilisme.
A priori, pour notre célèbre économiste, il est clair que l’augmentation des inégalités est injustifiée, à proscrire par elle-même. C’est à cette question qu’il consacre une grande partie des quelque 960 pages de « Le capital au XXIème siècle » et essaye de nous convaincre que le principal moteur de la croissance inégale est la rentabilité du capital.
Malgré le flot de statistiques sous lequel il tente de noyer le lecteur (un de ses procédés favoris), sa naïveté est étonnante.
Les preuves ?
Il s’étonne (page 626) de ce que les septuagénaires ou octogénaires puissent devenir plus riches que les quinquagénaires ou sexagénaires : « De toute évidence, cet enrichissement spectaculaire des octogénaires ne s’explique pas par le revenu de leur travail ou par leur activité entrepreneuriale : on les imagine mal créant des start-up tous les matins ». Peut-être parce qu’il n’a connu que le milieu professoral ou des chercheurs de l’EHSS, il n’imagine pas que l’on puisse continuer à travailler, et travailler dur, après l’âge de la retraite officielle de 65 ou 68 ans.
Il ne s’est jamais demandé pourquoi un Rupert Murdoch, News Corporation, 83 ans, continue de travailler pour développer son empire, et pourquoi un Sam Walton, Walmart, qui fut un moment l’homme le plus riche du monde, n’a cessé de travailler jusqu’à sa mort à 74 an. Son explication de la croissance des fortunes, se trouve dans les intérêts composés, qui feraient que l’on devient plus riche à 85 qu’à 60 ans (page 627).
C’est là qu’on voit le danger d’intellectuels totalement déconnectés du monde réel.
Mais il est plus intéressant de voir l’affabulateur à l’œuvre sur des questions de fond qui sont centrales au débat : pourquoi les inégalités s’accroissent-elles ?
« Pour une large part par la montée sans précédent de l’inégalité des salaires, et en particulier par l’émergence de rémunérations extrêmement élevées au sommet de la hiérarchie des salaires, notamment parmi les cadres dirigeants des grandes entreprises » (page 471).
Les inégalités aux USA ? La conséquence des super-salaires des présidents et des hauts cadres de la finance, comme tout le monde le sait.
Et deux graphiques 8.7 et 8.8 sont donnés à l’appui de cette tirade. Les courbes y représentent dans le revenu national ou la masse salariale, la part des déciles ou centiles supérieurs des revenus.
Mais en quoi le parallélisme des évolutions dans le temps est-il une preuve que ce sont les salaires qui ont créé l’augmentation des inégalités ?
Parce que T. Piketty présuppose que les salaires sont la part prépondérante des revenus.
Alors que la preuve existe que pour les plus hauts revenus, ceux du centile supérieur, la part des salaires n’est que du tiers et est largement dépassée par celle des revenus entrepreneuriaux. (voir http://www.irdeme.org/Le-point-sur-la-montee-des.html).
L’affirmation que la montée des inégalités est due à la montée des super-cadres est répétée pages 500-501 avec à l’appui des courbes montrant la part du centile supérieur dans le revenu national, mais sans jamais montrer en quoi les revenus salariaux des super-cadres représentent la part prépondérante de ce revenu.
La méthode Coué peut-elle être la base scientifique de l’économie ?
Les autres affirmations participent à peu près de la même légèreté :
– Page 473, la mobilité salariale est expédiée de la même manière : « en calculant les salaires moyens obtenus au niveau individuel sur de longues durées (10, 20, 30 ans). On constate que la hausse des inégalités salariales est identique, quelle que soit la durée de la période de référence choisie » (page 474). On ne comprend pas très bien pourquoi prendre la hauteur moyenne des pieds d’un surfeur qui descend une vague, renseigne sur le fait qu’ils soient passés par le haut de la vague et en soient descendus.
– Ce qui le dérange le plus est l’existence de listes comme celles de la revue Forbes sur les milliardaires.
Il se refuse à voir qu’environ les deux tiers ont été créés par des entrepreneurs de leur vivant et non pas par héritage.
Il veut absolument voir dans la croissance de la fortune de Liliane Bettencourt, héritière de l’Oréal, la preuve que le capital se nourrit de lui-même pour croître. Il aurait aussi bien pu prendre comme exemple Bill Gates, dont la fortune a doublé depuis qu’il a laissé les rênes de l’entreprise à Steve Ballmer. Il s’agit là encore d’une vision assez infantile, car l’Oréal a dû sa croissance au choix de quelques dirigeants remarquables – et à la dynamique propre du secteur industriel où l’avait lancé le fondateur, phénomène que l’on retrouve aussi dans la croissance de la fortune de Bill Gates, ou la poursuite de l’expansion des fortunes des octogénaires.
Et il refuse de comprendre que loin de voir leur fortune croître, beaucoup de milliardaires ne le restent pas.
2 commentaires
VISION UTOPIQUE
Il s'agit là encore de la posture la plus en vogue en ces temps de crispation sociale et économique qui consiste à penser que la richesse n'est que le fruit de la spéculation financière. Il ne me semble pas que Thomas Piketty ait une expérience de la gestion d'une entreprise. Ses thèses Keynésiennes ont le vent en poupe dans les salons et autres amphithéâtres estudiantins et dans les hautes sphères politiques et économiques américaines où il est aisé de remettre en question cette mondialisation qui certes va bien trop vite pour des pans entiers de corporations, ou il est aisé de faire repentance quand on est démocrate. Mais c'est oublier les centaines de milliers d'emplois que ces chefs d'entreprise … milliardaires génèrent. Le grand partage mondial d'activité économique a déjà commencé et la purge avec, car de nombreux secteurs économiques ne s'en remettront pas. Cette obsession égalitaire n'apporte à mon sens qu'une vision erronée et dévoyée de ce que la nature humaine a de plus noble à savoir, la liberté d'entreprendre et de se développer.
Et derrière ce paravent de l'inégalité qu'y-t-il à votre avis ? le partage bien entendu
Le pire est que cette démonstration fumeuse de Piketty sur l'"horreur" de la croissance des inégalités n'est qu'un paravent pour cacher les obsessions habituelles des gauchistes. Car après avoir dénoncé les inégalités, l'enchaînement est très logique : comment résoudre le problème et donc partager les richesses "indues" de certains. Tout ceci n'est donc qu'une version moderne et soft d'un Marx des plus classique dénonçant les plus-values et le capital exploitant les ouvriers avant d'annoncer une "révolution prolétarienne" afin de partager ces richesses de façon inégalitaire entre les hommes. En un peu plus d'un siècle, nous sommes seulement passé d'un discours clair et lucide du 19ème siècle exprimant ouvertement son analyse et ses intentions, à exactement le même message mais caché derrière un fatras de mensonges statistiques pour se donner des airs de science dur.