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L’énergie : un projet structurant pour relancer l’Europe

par Philippe Charlez
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Les « baby-boomers » européens ont eu deux grandes chances. La première est d’avoir connu une société de croissance continue. La seconde est d’avoir vécu dans un espace de paix qui dure maintenant depuis 75 ans. Une première historique dans une Europe des Nations qui s’est déchirée à tout vent durant 20 siècles.

->Article initialement publié par la Revue parlementaire

C’est d’ailleurs dans le contexte d’une Europe dévastée par un conflit qui fit plus de 50 millions de morts que le Français Monnet, l’Italien de Gasperi et le Belge Spaak créèrent en 1951 la CECA [1]. L’idée était de garantir la paix entre les anciens belligérants en mutualisant le charbon et l’acier, les deux ingrédients requis pour fabriquer… des chars et des canons. Un projet structurant qui, au-delà des frontières, consolida une « communauté de destin » dont on peut aujourd’hui apprécier les résultats.

Cette communauté de destin reste pour les Européens un objectif prioritaire. Les raisons ne sont plus la paix ou la stabilité. Contrairement à une idée généralement véhiculée, elle ne relève pas non plus de considérations identitaires ou culturelles. Il s’agit d’un simple problème de « taille critique ». En 1990 la France et l’Allemagne comptaient pour 15% du PIB mondial alors que la Chine ne pesait que pour 1%. Aujourd’hui la Chine compte pour 15% alors que la France et l’Allemagne en représentent moins de la moitié. Mais l’Europe qui comptait pour plus de 30% du PIB mondial en 1990, pèse toujours aujourd’hui pour 22% c’est-à-dire sept points de plus que la Chine. La mondialisation a profondément « affaibli les formes classiques d’organisation intermédiaire et en particulier les Etats Nations » [2] et rendu obsolètes les Etats Européens qui, individuellement, n’ont plus les moyens de peser sur l’organisation du monde. Face aux Américains et aux Chinois, seule une Europe politiquement unie et fédérale à terme peut exister. Mais, comme jadis avec la CECA, la relance de l’Europe doit s’articuler autour de projets structurants. La transition énergétique représente bien évidemment l’un de ces projets.

Mais, la transition énergétique n’est pas seulement environnementale. Elle repose sur trois piliers en parfaite bijection avec ceux du développement durable : le climat, la sécurité énergétique et la compétitivité de l’économie. L’énergie doit être propre, disponible et abordable.

L’énergie européenne est-elle propre ?

Le mix énergétique mondial contenait en 2018 85% d’énergies fossiles. Le mix européen n’en renferme que 76%. C’est nettement moins que la Chine (88%) et les Etats-Unis (86%). En relatif, l’Europe est donc beaucoup plus propre que ses confrères. L’Européen émet à peine plus que le Chinois (trois fois plus nombreux) mais deux fois et demie moins que l’Américain, l’un des plus mauvais élèves du monde. Quant à la France elle est en tête de classe européenne. Grâce à sa génération électrique nucléaire son mix ne contient que 53% de combustibles fossiles (un presque record mondial) et le Français émet deux fois moins que l’Allemand, dont le mix contient toujours 80% de fossiles. Même si en France on déteste les premiers de classe, on comprend mal pourquoi certains ONG fondamentalistes veulent traîner la France devant le « tribunal du climat ».

Alors bien sûr, quand on est premier de classe, il faut montrer l’exemple. Sachant que les objectifs de la COP21 (1,5°C 2010) sont purement chimériques, notre analyse est basée sur les objectifs de la COP15 (Copenhague 2008), soit 2°C 2050. Pour l’atteindre, l’Europe devra ramener sa part de fossiles de 76% à 41%. En 2050 le mix énergétique européen sera donc loin d’être décarboné. Toutefois, il ne contiendra pratiquement plus de charbon, nettement moins de pétrole mais beaucoup de gaz naturel. Ce dernier interviendra en support des renouvelables dont les intermittences ne permettront jamais un fonctionnement en « stand alone ».
Mais, quand on est premier de classe, progresser s’avère de plus en plus complexe. D’autant que la transition énergétique n’est en rien un problème technologique ; c’est avant tout un problème d’échelle.

Prenons l’exemple de l’hydrogène aujourd’hui considéré par certains comme un levier majeur de la transition. Fabriquer de l’hydrogène vert n’est en rien un enjeu technologique. Récupérer des surplus d’électricité renouvelables pour séparer dans un électrolyseur l’hydrogène de l’oxygène de l’eau afin d’utiliser cet hydrogène dans une pile à combustible et alimenter le moteur électrique d’une voiture ne pose pas de problème technologique. La chaîne existe depuis… la première moitié du XIXème siècle.

Malheureusement, quand on regarde l’échelle de la transformation, le problème se gâte. Pour fabriquer l’« équivalent hydrogène » des 50 milliards de litres de carburant que la France consomme chaque année, il faut 500 TWh d’électricité. C’est l’équivalent des 62 réacteurs nucléaires du parc français ou l’équivalent de 125.000 éoliennes de 2MW. La France construisant chaque année 600 éoliennes, il faudrait donc 200 ans pour arriver à produire cet hydrogène. Un exemple qui montre clairement qu’une réduction significative et rapide des fossiles ne peut reposer sur les renouvelables ; seul le nucléaire pourrait l’assurer.

L’énergie européenne est-elle disponible ?

L’Europe est très dépendante de ses importations d’énergie : elle importe 90% de son pétrole et les trois quarts de son gaz dont près de 40% proviennent de la Fédération de Russie. Certains considèrent que les renouvelables permettront à terme de desserrer l’étau et conduiront à l’indépendance énergétique de l’Europe. Et c’est vrai qu’en première apparence le soleil et le vent appartiennent à tout le monde. Pas si simple. Les panneaux solaires, les éoliennes et les batteries qui sont gorgés de métaux rares et semi rares dont les réserves sont encore plus mal distribuées que les réserves de pétrole et de gaz. Ainsi la moitié des réserves de cobalt se situe en RDC et la moitié des métaux rares en Chine et en Russie. La transition énergétique ne fera donc que déplacer notre dépendance hydrocarbure vers une dépendance minière.

L’énergie européenne est-elle abordable ?

Depuis le premier choc pétrolier, la facture énergétique de l’Europe plombe son économie. La balance commerciale française est ainsi parfaitement reliée aux prix du pétrole qui représentent 80% de son déficit. Quant à la dette européenne elle est étonnamment corrélée à sa facture pétrolière et gazière. Une dette qui débuta comme par hasard en… 1974. Avant le premier choc pétrolier, la croissance des trente glorieuses reposait sur une énergie quasi gratuite. Depuis, l’Europe emprunte pour continuer à assurer sa croissance. Bien au-delà de la problématique climatique réduire les importations européennes d’hydrocarbures, est en enjeu économique majeur. L’objectif 2°C représente pour l’Europe une économie potentielle de 3.000 milliards d’euros.

Les deux ennemis cachés de la transition énergétique

Bien au-delà des lobbies pétroliers, gaziers ou nucléaires, la transition énergétique a deux ennemis cachés. Le premier est le nationalisme qui par construction hypertrophie les piliers économique et sociétal aux dépens du climat. Quand il nous dit que la transition n’est bonne ni pour les contribuables américains, ni pour les entreprises américaines ni pour la sécurité américaine, Donald Trump en est l’avocat parfait. Mais tout aussi nuisible est l’écologie politique. En décrétant que « l’écologie doit devenir une norme juridique supérieure et subordonner les critères économiques aux critères environnementaux » elle hypertrophie le pilier climatique au mépris de la croissance économique et de la sécurité énergétique.

Nous restons convaincus que notre avenir à tous réside dans un équilibre subtil des trois piliers. Un équilibre que seule une Europe politiquement unie et fédérale à terme permettra d’assurer.

Philippe Charlez

Expert Energie à l’Institut Sapiens

 

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