La France, pays très administré, n’a pas confiance dans le citoyen. Nul n’est censé ignorer la loi et la justice est là pour ordonner de défaire ce qui a été fait en contradiction avec la loi ; cependant de plus en plus d’actions sont soumises à l’autorisation préalable de l’administration. Cela se comprend si les conséquences de l’action contraire à la loi sont irréparables, ainsi de la mise sur le marché d’un médicament, ou de la démolition d’un bâtiment historique ; mais de l’exception, l’autorisation préalable est devenue la règle.
Au fil des années ces obligations d’autorisation préalables se sont multipliées tellement que les administrations ont eu du mal à y répondre dans un délai raisonnable. Pour y remédier est venue l’idée d’imposer un délai de réponse au bout duquel la non-réponse vaudrait accord. C’est ainsi qu’il y a 50 ans, M. Albin Chalandon, ministre de l’Equipement, dont les services départementaux étaient alors en charge de l’instruction et de la délivrance des permis de construire, s’inquiéta de l’allongement des délais de délivrance des permis qui aggravait la crise du logement ; il décida alors que la non-réponse à une demande de permis au bout de trois mois conduirait à la délivrance d’un permis tacite.
Cette décision de M. Chalandon est restée lettre morte ; le ministère de la Culture a obtenu aussitôt que l’avis de l’Architecte des Bâtiments de France, indispensable à la délivrance d’un permis à proximité d’un monument historique ou dans une zone protégée, ne soit pas soumis à ce délai de 3 mois, vu l’importance de la protection du patrimoine. Ensuite les textes d’application ont prévu que le délai ne commencerait à courir qu’après réception par l’administration des réponses aux questions qu’elle pouvait poser dans le mois qui suivait la réception de la demande. Enfin les services locaux de l’Equipement, de peur d’être pris en faute, se sont équipés de programmes d’alerte signalant avec quelques jours d’avance la fin du délai, ce qui, lorsqu’ils n’avaient pas encore instruit la demande, leur permettait de délivrer dans le délai… un refus de permis ! ce refus invoquait une multitude de motifs pour prendre date et conserver le maximum possible de motifs de refus pour une instruction ultérieure du même permis.
Les demandeurs ainsi déboutés comprenaient qu’un recours au tribunal administratif contre ce refus leur prendrait beaucoup plus de temps que de redéposer une nouvelle demande. Les plus expérimentés savaient qu’il valait mieux, en cas de retard prévisible, déposer eux-mêmes un permis modificatif de détail en cours d’instruction pour faire repartir le délai plutôt qu’avoir tout à recommencer après un refus. C’est ainsi que le délai moyen de la procédure d’obtention du permis de construire pour un immeuble collectif en ville ne posant pas de problème spécifique a fini par atteindre 18 mois à deux ans ! dans les cas difficiles la durée se comptait en années, 7 ans paraît-il pour la reconstruction du grand magasin de la Samaritaine à Paris.
Dans le cadre du « choc de simplification », une commission a listé près de 2.000 demandes d’autorisation préalables dans tous les domaines pour lesquels l’autorisation tacite en cas de non-réponse pourrait devenir la règle ; l’application de cette mesure n’étant pas immédiate, on a vu paraître dans l’année qui a suivi toute une série de décrets d’exception exemptant de l’accord tacite plus de la moitié des demandes visées. Pour le permis de construire, puisque le délai existait déjà, la seule modification a été de supprimer l’exception concernant l’avis de l’architecte des bâtiments de France.
La crise du coronavirus n’a pas échappé à la vigilance des services et les récentes ordonnances qui ont accordé des allongements de délai aux administrés pour s’acquitter de certaines obligations (notamment fiscales) n’ont pas oublié de neutraliser aussi les délais imposés aux administrations. C’est ainsi que l’ordonnance du 25 mars prévoyait la suspension de tous les délais en matière d’autorisation d’urbanisme jusque un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. Les plaintes des architectes, bureaux d’études et entreprises qui voyaient là un futur trou d’activité de 3 mois au moins, ont suscité une ordonnance rectificative qui a seulement supprimé le mois de neutralisation après la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Ainsi il est toujours vrai que « l’Administration qui ne dit mot ne consent pas »
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L’administration qui ne dit mot… ne consent pas
Vous décrivez parfaitement les ravages des corENAvirus…