Voici que les députés de la majorité proposent une loi tendant à contraindre les entreprises de plus de 1.000 salariés à ce que leurs comités exécutifs soient composés d’un certain nombre de femmes, les proportions ainsi que les dates d’exigibilité restant encore à préciser (par exemple 30% à échéance de 2025). Ce serait la suite de la loi Copé-Zimmermann de 2011, qui contraint les entreprises à respecter une certaine proportion de femmes dans les conseils d’administration et les conseils de surveillance. Les entreprises visées par cette loi sont, depuis le texte applicable au 1er janvier 2020, celles qui sont cotées ainsi que celles non cotées de plus de 250 salariés, et la proportion est de 40% de femmes. Pour la majorité actuelle, l’idée est d’aller plus loin et de viser les Comex en imposant des règles semblables. Comme si le problème était le même, ce qui n’est absolument pas le cas.
Une méconnaissance surprenante du fonctionnement des entreprises
Les membres des conseils d’administration et de surveillance sont des personnes nommées d’un jour à l’autre en vertu de leur expérience et de leur réputation présumée, ou quelquefois à titre honorifique. Elles sont extérieures à l’entreprise, se réunissent seulement quelques jours par an, sont plus ou moins actives, leur démission ne pose pas réellement de problème à l’entreprise, et leur chiffre est variable.
Contrairement à ce que l’on entend dire, les membres du Comex ne sont nullement des responsables se situant « un cran au-dessous ». Ils sont au contraire les dirigeants vitaux de l’entreprise – les auteurs de la proposition de loi savent-ils par exemple que les membres du conseil de surveillance ont interdiction légale de se mêler de la gestion de l’entreprise ? Il s’agit du top management, souvent parvenu à ce niveau ultime de compétence après des années passées dans l’entreprise et suivant un choix exclusif où il se révèle très difficilement remplaçable. C’est en raison de la fonction qu’on est le seul à occuper (DRH, directeur financier, directeur de l’exploitation…) qu’on fait partie du Comex. Imagine-t-on un instant qu’on puisse dire à un cadre masculin parvenu à gravir tous les échelons qu’on ne le nommera pas au poste de direction auquel il était destiné parce que le titulaire de ce poste fait partie du Comex et… qu’il doit impérativement être une femme ? Faudrait-il dès l’embauche choisir un candidat en fonction du sexe alors qu’on ne sait absolument pas quelle sera sa carrière ? Absurde. Au niveau de compétence et d’expérience dont il est question ici, on ne choisit pas un candidat en fonction de son sexe. Ici, ce serait bien la loi qui contraindrait et obligerait à discriminer, et la liberté qui assurerait la justice due au mérite et à l’efficacité.
Le lit de Procuste et l’interventionnisme étatique tyrannique
Comme le fait remarquer Virginie Calmels, femme politique ayant une longue expérience de dirigeante d’entreprise, la loi ne pourrait être fondée que sur la tyrannie de la moyenne : tout le monde soumis à la même règle, on ne veut voir qu’une seule tête ! Or pour des raisons diverses où la volonté de discriminer au détriment du sexe féminin n’a rien à voir, certaines entreprises n’auront pas le quota prévu ni la possibilité d’y remédier, pendant que d’autres l’auront au contraire atteint, et bien au-delà. C’est ainsi que Procuste était amené à couper les jambes de ses hôtes ou à les étirer suivant qu’ils n’avaient pas la taille du lit où il les faisait s’étendre.
Ce mythe grec est d’ailleurs l’un de ceux qui sont restés le plus d’actualité dans l’action des gouvernements : on impose l’uniformité en la confondant avec la recherche de l’égalité. Les exemples sont innombrables dans le droit du travail, et nous avons ici la menace d’un nouveau. L’erreur à ne pas commettre !
Nous avons cité Virginie Calmels pour s’être clairement prononcée contre la proposition de loi. Mais de nombreuses femmes dirigeantes se sont prononcées de la même façon et pour les mêmes raisons, sans bien entendu qu’on puisse y voir le réflexe de la personne arrivée qui ferme la porte derrière elle. On citera par exemple l’argument de Sophie Boissard (groupe Korian) faisant remarquer que le terme de Comex ne correspond à aucune institution dont ni l’existence ni la composition ne seraient légalement prévues. Il en existe donc une infinie variété, à qui il serait très difficile d’imposer une règle unique, sans compter les entreprises où le Comex est simplement absent.
La charrue avant les bœufs, ou à côté ?
Comme on l’a dit, la participation au Comex est attachée à l’exercice d’une fonction déterminée de direction. Ce n’est donc pas cette participation qu’il faut prendre en considération, mais bien la nomination à la fonction qui en est l’origine. C’est à la question de la carrière des femmes qu’il faut s’attaquer, et se demander pourquoi elles ne parviennent pas plus souvent aux postes de cadres supérieurs.
On pourrait penser au facteur historique. Car les titulaires des postes direction supérieure sont évidemment occupés par des cadres, soit en fin, soit en milieu de carrière. Il faut donc se replacer à l’époque où ces personnes ont fait leurs études et vérifier qu’à cette époque les femmes étaient aussi nombreuses que maintenant à obtenir les diplômes nécessaires. A ce sujet, on remarque que les écoles de commerce ont connu dès les années 1970 une très forte augmentation d’élèves féminines jusqu’à représenter la moitié des élèves et des diplômés, et l’argument ne serait donc guère pertinent. Certaines études font cependant état de ce que les diplômées féminines ne se dirigent pas autant que les hommes dans des carrières d’entreprises susceptibles de conduire aux postes de direction dont il est ici question. En ce qui concerne les écoles d’ingénieurs, l’argument serait plus pertinent, car la présence des femmes y est à la fois plus récente et plus faible : de moins de 20% en 1990 à environ 30% à l’heure actuelle. Les organisations d’étudiants militent pour l’augmentation de ce pourcentage trop faible, mais avec un succès mitigé.
C’est donc mettre la charrue avant les bœufs que vouloir contraindre à une égalité de recrutement dans les Comex si la présence des femmes dans les écoles qualifiantes est insuffisante ou si elles ont d’autres ambitions. De plus, même si le diplôme crée l’excellence, il ne fait pas la carrière. La contrainte non plus.
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Des envies différentes
Une autre dérive, encore plus sournoise, pourrait être la suivante : et si les femmes statistiquement pouvaient avoir des envies moyennes différentes de celles des hommes (comme d’ailleurs les individus entre eux). On a souvent observé, notamment dans des cohortes relativement homogènes comme les services marketing où les filières sont assez tracées (assistant chef de produit – chef de produit junior – chef de produit senior – chef de groupe de produits – enfin directeur marketing en général membre du Comex, que les femmes, souvent plus studieuses sont dans la première partie du parcours plus brillantes que les hommes. Le problème c’est que le dénouement vers la direction se situe en général aux environs de 35 ans. À ce moment de leur vie, les femmes choisissent souvent la maternité et la famille plutôt que la carrière, alors que les hommes réalisent que s’ils ne deviennent pas directeur, à ce moment-là, ils ne le seront jamais. Alors ils se battent. On me dira que ces choix sont éducatifs et historiques. Certes en partie, je l’admets volontiers, mais il existe tout de même maintenant, et c’est l’un des grands progrès de notre civilisation, mille carrières différentes, et mille manières de les faire. La politique des quotas c’est l’identité des choix obligatoires et l’alignement des destins, quelque chose de totalitaire en sorte. À noter au passage qu’être membre d’un Comex, ou DG, ou même d’ailleurs administrateur, apporte honneurs et rémunérations, c’est souvent vrai, mais avec des contreparties d’efforts et d’investissement personnel que tout le monde n’a pas toujours envie de faire à tout moment, si tant est qu’il en soit jugé capable.
Au demeurant, faudra-t-il ensuite introduire des quotas de gens de couleur, d’homosexuels, de religion, de taille, etc. la liste risque d’être longue et la tâche complexe. Aidons à briser les plafonds de verre si nécessaire mais une fois la voie ouverte, laissons faire les destins, les individus se déterminer et entrer dans les compétitions. Que le meilleur (pour l’entreprise) gagne !
Et si c’était nécessaire à la survie de notre économie et de nos entreprises ??
Au delà de ce titre un peu provocateur, je vous suggère la lecture de cet autre article au titre provocateur : https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2021/03/33729-pourquoi-le-cerveau-des-femmes-ne-les-predispose-pas-a-reussir-en-entreprise/
la vitesse de changement nécessite de mobiliser l’intelligence collective de l’organisation, les pratiques collaboratives doivent primer sur les individualités et la course à la réussite personnelle. Or le modèle que décrit si bien Yves dans son précédent commentaire ne favorise que les comportements opportunistes et en aucun la performance à long terme des entreprises.
il y a certes un équilibre à trouver mais c’est une vraie opportunité pour la performance de notre économie !