Marine Le Pen s’émeut de ce que les jeunes veuillent quitter la France pour trouver un emploi à l’étranger. Le but est louable, mais la mesure proposée ne l’est pas : il s’agirait d’exonérer pendant une période de 5 ans les revenus professionnels de l’ensemble des jeunes de 30 ans, pour les inciter à rester en France, éventuellement en créant une entreprise. Economiquement, cette mesure n’aboutit nullement au but poursuivi. Mais ce que nous voulons surtout développer ici, c’est l’inconstitutionnalité d’une telle exonération, dont l’évidence amène à se poser la question du sérieux du programme de la candidate.
L’appréciation économique
A l’appui de sa proposition, la candidate expose que «80% de nos jeunes partiraient si on leur proposait un emploi mieux payé à l’étranger ». Qu’est-ce que cela prouve ? Trouver un emploi à l’étranger réclame des démarches qui ne sont pas à la portée de tout un chacun, la maîtrise de la langue, une formation etc. Sûrement pas à la portée de 80% des jeunes. En réalité, l’imposition des revenus en France n’a quasiment rien à voir avec le départ des jeunes à l’étranger, lequel est essentiellement dû au fait que les jeunes ne trouvent pas d’emploi en France, taxé ou non. Le départ profite d’ailleurs surtout aux jeunes pourvus d’un diplôme supérieur (cf. l’attractivité de la Silicon Valley). Quant à l’impôt sur le revenu, il ne concerne que 43% des ménages français, et parmi eux très peu de jeunes, qui sont en début de carrière. C’est un problème d’offre d’emploi auquel il faut s’atteler.
Ajoutons que les chiffres mentionnés à l’appui de la proposition, à savoir 160.000 Français partant chaque année à l’étranger, paraissent très exagérés. Ils n’existent pas, et on parle plutôt de 44.000 pour l’année 2017. Surtout, ils ne concernent pas que les jeunes, mais l’ensemble des Français qui quittent le France pour des motivations très diverses. Le désir des jeunes ne semble d’ailleurs, sauf pour quelques surdiplômés, nullement de s’établir à l’étranger, mais d’y faire une expérience temporaire.
L’inconstitutionnalité de la mesure proposée
Encore ces jours-ci, Jordan Bardella, président par intérim du RN, soutenait avec force que l’exonération ne posait pas de problème constitutionnel. Affirmation surprenante, quand on voit que l’ensemble des spécialistes constitutionnalistes seraient d’un avis contraire. Il n’est pas inutile d’examiner comment se pose la question dans le détail.
L’exonération envisagée est une mesure d’âge, qui crée une inégalité devant les charges publiques et l’impôt puisque seules les contribuables de moins de 30 ans seraient concernés. Il faut donc appliquer la jurisprudence constitutionnelle sur les conditions requises pour valider les exceptions au principe d’égalité. Ces exceptions sont en effet très nombreuses, mais doivent répondre à la règle traditionnelle suivante, fixée depuis longtemps par le Conseil constitutionnel : « Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».
En l’occurrence, il s’agirait de prétendre que l’exonération envisagée répond à une « raison d’intérêt général » à savoir éviter le départ des jeunes à l’étranger. Raison possiblement valable a priori. Mais il faut aussi que la différence de traitement « soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Ce qui ne semble pas être le cas ici. La différence de traitement (l’exonération) s’appliquerait en effet à tous les jeunes de moins de 30 ans par définition déjà pourvus d’un emploi en France, et imposables en France (sinon il n’y aurait pas de différence de traitement). Or ce ne sont à l’évidence pas ces jeunes dans leur immense majorité qui sont concernés par l’objectif de la loi, mais seulement ceux qui, n’ayant pas d’emploi en France, doivent être incités à ne pas quitter le pays[[Il ne peut évidemment pas être question de réserver l’exonération à l’ensemble indistinct des jeunes Français employés après l’entrée en vigueur de la loi.]]. Il n’y a donc pas la corrélation voulue entre l’objet de la loi et les bénéficiaires de la différence de traitement[[On peut rapprocher du cas présent la jurisprudence du Conseil constitutionnel ayant rejeté l’exonération de la taxe carbone en faveur des industriels qui représentaient 93% des responsables des émissions, au motif que cette exonération était en rapport inverse de l’objet de la loi.]].
Un autre motif dirimant pour rejeter la mesure serait l’absence de rapport entre l’exonération et l’âge des bénéficiaires : pourquoi faudrait-il en limiter l’application aux moins de trente ans ? La différence de traitement ne serait pas justifiée.
On peut enfin ajouter qu’il y aurait contradiction du point de vue de la justice sociale, car les jeunes intéressés par l’exonération seraient ceux bénéficiant, ou susceptibles de bénéficier des plus hautes rémunérations, et en aucune façon les 57% de Français non imposables.
En définitive, la mesure envisagée risquerait de manquer son objectif. Il est effectivement indispensable de favoriser l’emploi en France, mais pour cela c’est sur les moyens d’augmenter les offres d’emploi, et sur le développement des compétences et de la formation qu’il faut faire porter les efforts.