Il est certain qu’il existe un lien étroit entre la création d’entreprises et la croissance comme le montrent les travaux de la Kauffman Foundation (« The importance of startups in job creation and job destruction », 2010).
À partir des chiffres du Census qui permettent de remonter 30 ans en arrière, ces recherches qui ont fait date montrent en effet que la croissance des emplois par les entreprises nouvelles a été régulière, avec plus de 3 millions par an, alors que les emplois des entreprises existantes en moyenne disparaissent.
L’existence d’un mécanisme similaire, qui concrétise la destruction créatrice de Schumpeter a été établie par l’IRDEME dans « Seules les entreprises nouvelles créent des emplois ».
Le seul pays qui semble diverger est l’Allemagne où, dans la période examinée plus courte que celle du Census, les créations d’emplois par les entreprises existantes ont été positives.
Mais ces créations d’emplois, même en Allemagne, sont moins importantes que les créations d’emplois par les entreprises nouvelles (avec 0,7% contre 0,5% du stock existant sur la période 2005-2009).
Il était donc intéressant de voir si cette observation ponctuelle se vérifiait à l’échelle d’un plus grand nombre de pays en se servant des statistiques de création d’entreprises et des taux de croissance calculés par la Banque Mondiale.
Pour les créations d’entreprises, nous avons pris les créations d’entreprises employeuses, car celles créées sans salariés n’ont pas beaucoup de sens, dans la mesure où il est facile de gonfler celles-ci sans guère de création d’emplois.[[ On peut même se demander au vu des chiffres français si la création d’entreprises sans salariés n’a pas entraîné une chute des créations d’entreprises avec salariés et au total des pertes de créations d’emplois.]]
Nous avons aussi exclu de l’étude des pays trop petits pour que se créent beaucoup d’entreprises comme la Suède, dominée par l’empire Wallenberg, la Finlande où la croissance a été longtemps dictée par l’avenir de Nokia ou la Norvège dont la croissance est liée aux hydrocarbures de la Mer du Nord, et le Portugal dont l’économie est très liée à la CUF (Compania Uniao Fabril) et a été fortement secouée par des développements politiques qui sont des résurgences de la dictature de Salazar.
Nous avons également exclu les pays en voie de développement comme Chine, Mexique ou Turquie. D’ailleurs, dans ces pays comme au Canada ou en Australie, il n’existe pas de statistiques de création d’entreprises employeuses utilisables.
Ceci nous a limités à une dizaine de pays qui sont en gros les pays de l’Union européenne, la Suisse, les États-Unis.
Les principaux résultats de cette recherche
I. Il existe une forte corrélation entre création d’entreprises et croissance du PIB mais pas entre création d’entreprises et croissance du PIB par tête. Ceci a fait découvrir que la croissance du PIB par tête est une variable comportant deux variables aléatoires : la croissance du PIB d’une part et la croissance de la population de l’autre (dont la partie aléatoire de l’immigration).
II. S’il n’y a pas de corrélation entre la création d’entreprises et la croissance du PIB par tête, il y a une corrélation forte entre la création d’entreprises et la croissance du PIB, également avec la création d’emplois par les entreprises nouvelles. Mais le coefficient de corrélation est plus élevé dans le second cas ce qui nous a amené à ne garder que celui-là pour l’ensemble des études.
III. Mais cette corrélation va dans le sens croissance du PIB -> créations d’entreprises et absolument pas dans le sens inverse.
IV. Nous avons voulu voir si les États-Unis fonctionnaient sur un modèle différent et avons appliqué la même méthode d’analyse aux 50 états américains. Il y aussi une excellente corrélation mais toujours dans le même sens : la croissance précède la création d’emplois par les entreprises nouvelles, pas l’inverse.
V. La grande découverte se situe dans les coefficients de corrélation entre croissance et créations d’entreprises : le coefficient de régression est deux fois plus faible aux États-Unis qu’en Europe mais la constante à l’origine, le nombre d’emplois qui se créent, croissance ou pas, est très élevé aux États-Unis, double de l’effet de la croissance dans les meilleurs cas, alors qu’il est quasiment nul en Europe.
Conclusion : avec un schéma de croissance fondé sur des créations d’entreprises employeuses peu dépendantes de la croissance, les États-Unis ont observé un taux de croissance sur la période de 1980 à 2008 supérieur d’environ un tiers aux pays européens.
On peut se demander si le système fiscal de la SubS, qui encourage les Business Angels et est complété par un venture capital fort n’a pas été la grande variable qui explique cet écart énorme entre le modèle américain et le modèle européen.
I. Pas de lien entre la création d’entreprises et la croissance par tête de l’OCDE
Nous avons pris l’année 2004 parce que c’est la meilleure année des créations.
Sur les graphiques ci-après, le graphique 1 donne la distribution des pays en fonction du nombre d’entreprises employeuses créées par millions de personnes en 2004 et de la croissance par tête 2002-2007 tirée de l’OCDE ; le coefficient de corrélation est de 0,14, donc il n’y a pas de lien.
Il s’améliore à 0,20 – toujours pas de lien significatif – lorsqu’on remplace le nombre d’entreprises par le nombre de salariés (graphique 2) et nous garderons les emplois plutôt que les entreprises.
II. Corrélation entre la création d’entreprises et la croissance totale (chiffres Banque Mondiale)
Il y a des corrélations plus élevées si l’on prend la croissance absolue publiée par la Banque Mondiale et pas la croissance par tête (graphique 3).
Elle devient significative (> 0,5) quand on passe de la création d’entreprises à la création d’emplois créés (graphique 4).
Si on enlève les « outliers » États-Unis et Royaume-Uni (avec les créations d’emplois supérieurs à 6.000 par habitant), la corrélation passe à 0,8 (graphique 5). Le lien est excellent : plus de 95 chances sur 100 que la création d’entreprises et la croissance soient liées.
III. La création d’entreprises précède-t-elle la croissance ou l’inverse ?
Toutes les corrélations montrent que la croissance précède la création d’entreprises. Nous avons cherché à corréler la croissance 2004 avec la croissance des années ultérieures et n’avons trouvé aucune corrélation. En revanche, cette corrélation commence à apparaître lorsque la période de croissance chevauche l’année 2004 et devient maximum lorsque la période envisagée précède 2004. Nous avons fait le même exercice pour les autres années et avons constaté le même résultat.
Cette corrélation s’établit sur 9 pays européens (Autriche, France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Portugal, Espagne, Suisse, Pologne), les États-Unis et le Royaume-Uni étant exclus pour les raisons expliquées dans le chapitre précédent.
Nous nous sommes demandés si l’intervalle du temps pris n’était pas trop petit et avons cherché à l’étendre à 15 années, et nous avons toujours trouvé que la croissance précédait la création d’entreprises.
IV. États-Unis : la croissance précède la création d’entreprises
Nous nous sommes demandés si les États-Unis n’échappaient pas au modèle européen et si la création d’emplois ne précédait pas la croissance.
Nous avons recherché pour chacun des 50 états ces créations d’entreprises et d’emplois pour l’année 2004 et la croissance.
Le résultat est identique à celui d’Europe avec forte corrélation entre création d’emplois par les entreprises nouvelles et la croissance.
Mais les créations d’entreprises se refusaient à précéder la croissance.
Aux États-Unis aussi, la croissance précède la création d’entreprises.
V. La découverte : existence d’un océan entre les États-Unis et l’Europe
Voilà ce que donnent les droites de régression pour les pays d’Europe continentale[[Le Portugal a été exclu des statistiques parce que c’est un « outlier », qui seul fait disparaître complètement la corrélation. Nous avons également exclu le Royaume-Uni dont le comportement est calqué des États-Unis et allons rechercher s’il produit aussi des créations massivement, croissance ou non.]] et les États-Unis.
Les États-Unis ont un coefficient d’incidence de la croissance sur les créations d’emplois faible de 138 emplois par million d’habitants par point de croissance sur 5 ans contre 242 en Europe, mais l’ordonnée à l’origine est de 8415 contre 351, indiquant que croissance ou pas l’Amérique fabrique des emplois dans les entreprises nouvelles.
La pente des pays européens (l’effet de la croissance sur la création d’entreprises) est environ 2 fois plus forte que celle des États-Unis mais quand il n’y pas de croissance, la création d’entreprises disparaît en Europe.
Aux États-Unis, l’ordonnée à l’origine montre une constante vers 8.500 emplois par million d’habitants soit environ 2,6 millions d’emplois créés qu’il vente ou qu’il pleuve. L’apport de la croissance lorsqu’elle est de 3% par an est de l’ordre annuellement de 20% supplémentaires soit environ 500.000 emplois de plus.
La création d’entreprises est directement et quasiment entièrement liée à la croissance en Europe, très peu au contraire aux États-Unis.
Ceci n’est pas contradictoire avec la découverte qui fait date de la Kauffman Foundation sur la stabilité des créations d’entreprises parce que les taux de croissance varient très peu (une crise c’est moins 10%), alors que les disparitions d’entreprises sont très liées à la variation des taux de croissance et fluctuent beaucoup plus.
VI. Croissance du PIB 1980-2008
Allemagne | 55,6 |
Autriche | 67,9 |
Espagne | 71,8 |
France | 51,2 |
Italie | 44 |
MOYENNE | 58 |
UK | 56,1 |
USA | 78 soit +34% |
Cela se traduit par une croissance sur 1980-2008 plus élevée d’un tiers aux États-Unis.