La presse s’est émue dernièrement des chiffres des investissements étrangers, qui auraient diminué de 77% en 2013. Si ces chiffres sont à prendre avec des pincettes, ils sont néanmoins révélateurs d’une tendance lourde présente depuis plusieurs années. Depuis 8 ans en effet, les investissements étrangers créateurs d’emplois sont régulièrement à la baisse, et le solde net des destructions et créations par les investisseurs étrangers est négatif en 2013.
C’est fin janvier que sont parus les chiffres de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, montrant une évolution dramatique des investissements étrangers ces dernières années et notamment en 2013, atteignant un bas jamais connu jusqu’alors, passant de plus de 25 milliards en 2012 a moins de 6 milliards :
Ces chiffres sont cependant à prendre avec précaution, non seulement parce qu’ils font régulièrement l’objet de lourdes révisions comme ce fut le cas l’année dernière, mais également parce qu’ils prennent en compte des flux financiers intra-groupe et les fusions acquisitions. Les flux financiers intra-groupe peuvent gonfler artificiellement les flux entrants comme sortants, et les comparaisons internationales ont peu de sens, notamment du fait du développement des EVS : entités à vocation spécifique (special purpose entities). Ces entités sont constituées le plus souvent dans un pays étranger pour des raisons fiscales et par elles transitent un grand nombre d’opérations d’investissements.
Cependant, ces restrictions sont vraies chaque année, et, sans se tenir trop aux chiffres on voit bien la tendance qui se dégage : une baisse impressionnante de l’attractivité de la France ! Cette chute en 2013 de 77% des investissements directs étrangers en France est à contre-courant des autres pays d’Europe (+25%). Ils ont progressé de 37% en Espagne, grimpé drastiquement en Italie et quadruplé en Allemagne.
La volatilité des chiffres de la CNUCED (conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement) s’explique en partie par la prise en compte des fusions acquisitions[[Et il suffit d’une grosse acquisition pour que l’investissement d’une année à l’autre change radicalement.]], car il suffit de quelques grosses acquisitions pour que l’investissement d’une année à l’autre change radicalement. Or on le sait, une fusion acquisition consiste à faire passer une entreprise en des mains étrangères[[Si ce n’était déjà le cas.]] et non pas en de la création d’emplois. En admettant qu’ils soient définitifs, on peut néanmoins conclure de ces chiffres que les investisseurs étrangers ont été à la fois peu désireux d’acquérir des entreprises françaises et qu’ils ont également évité que leurs filiales françaises ne réceptionnent tout flux financier.
Cependant, si l’on regarde les investissements étrangers créateurs d’emplois, c’est-à-dire en vue d’une création d’entreprise ou en vue de la croissance organique d’une l’entreprise existante, le constat reste inquiétant. Les chiffres les plus pertinents sont sans doute ceux publiés chaque année par Ernst and Young[[Depuis 1997, Ernst and Young, en partenariat avec Oxford Intelligence, recense le nombre d’implantations de projets d’investisseurs étrangers sur chaque territoire, prenant en compte uniquement les annonces publiques et fermes d’investissements porteuses de créations d’emplois nouveaux.]] : depuis 1997, le cabinet recense chaque année le nombre d’implantations de projets d’investisseurs étrangers sur chaque territoire, prenant en compte uniquement les annonces publiques et fermes d’investissements porteuses de créations d’emplois nouveaux. D’après ces chiffres, le nombre d’emplois créés par les investissements étrangers a diminué de 20% entre 2011 et 2012, passant de 13.200 à 10.500[[Voir Baromètre de l’attractivité de la France 2013, France : dernier appel, Ernst and Young, p.9]], alors même qu’entre 2006 et 2011, le nombre d’emplois créés avait déjà diminué de 30%[[Cf. rapport annuel 2011 p.16 de l’AFII.]]. Depuis le pic d’investissement de 2006, la création brute d’emplois par les entreprises étrangères a donc diminué de près de 50%.
Ernst and Young n’a pas encore publié les chiffres de 2013, mais beaucoup d’éléments laissent à penser qu’ils montreront une forte baisse des investissements. Les États-Unis sont en effet le premier investisseur étranger en France (42% des emplois créés grâce aux investissements étrangers 2012[[Voir Baromètre de l’attractivité de la France 2013, France : dernier appel, Ernst and Young, p.16. Cette proportion était moins importante en 2011, où les emplois créés grâce aux Américains représentaient 18% des emplois créés.]]) et d’après le baromètre Amcham-Bain 2013 sur le moral des investisseurs américains, l’attractivité de la France est en forte baisse. Moins de 13% des répondants jugent que leur maison mère a une perception positive de la France[[Questionnaire adressé en juin 2013 à la plupart des décideurs des filiales françaises de sociétés américaines et ayant recueilli 82 réponses (auprès de sociétés représentant en France plus de 55.000 employés et 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires).]], contre 56% d’opinions favorables en 2011.
Une autre approche pertinente est de regarder le solde des emplois créés et détruits par les investisseurs étrangers. D’après les chiffres Trendeo -qui suivent une méthodologie différente de celle d’Ernst and Young- on observerait en 2013 une destruction nette d’emplois par les entreprises étrangères. D’après ces chiffres, les investisseurs étrangers ont créé 19.000 emplois en 2013 mais en ont supprimé 26.000, soit une perte nette d’environ 7.000 emplois, alors que ce solde était positif de 2010 à 2012[[http://www.trendeo.net/2012/12/21/linvestissement-etranger-en-france-quelques-donnees-pour-2009-2012/]].
La diminution de l’attractivité de la France est une tendance lourde qui se confirme davantage chaque année. Cette Chute « historique » n’est pas due au hasard, mais à l’addition de barrières conscientes ou inconscientes mises par :
– L’administration
– Les politiques
– Les syndicats
Citons pêle-mêle :
– 1. Demandes d’autorisation administratives (lors des créations ou extension d’activité) aux modalités imprécises (et donc aux résultats imprévisibles pour les demandeurs) ;
– 2. Politique fiscale décourageante et imprévisible pour les entreprises et les particuliers ;
– 3. Impunité des syndicats prenant les entreprises en otage ;
– 4. Barrières mises au nom de la défense d’un « patriotisme économique » exacerbé et stérile.
L’édification de barrières juridiques souvent floues face aux investissements étrangers s’est ainsi muée en nouvel instrument de politique économique : le « patriotisme » économique et la lutte contre la mondialisation !
La notion de secteur stratégique a été amenée à englober deux phénomènes distincts.
– Domaines propres à l’État (sécurité, etc.) : protection des fonctions régaliennes de l’État : normal ;
– Tous les éléments qui participent de la puissance économique d’un État, en particulier la compétitivité, la croissance, l’innovation ou encore la lutte contre le chômage : subjectif et dont l’impact est ignoré.
Cette dernière attitude revient implicitement à reconnaître que les investissements étrangers et, en particulier, les investissements directs, sont néfastes pour la croissance économique, l’emploi et la compétitivité des entreprises.
La plupart des ouvrages économiques analysant l’impact des investissements directs sur l’économie nationale concluent à un bénéfice indéniable des investissements étrangers sur les salaires, les embauches, la compétitivité des entreprises qui ont fait l’objet de fusions ou d’acquisitions.
« Les entreprises acquises par les groupes étrangers renforcent leurs performances, embauchent davantage, pratiquent une grille de salaires plus élevés … » (Lionel Fontagné, Farid Toubal)
Or, en plus des barrières juridiques et administratives dissuasives, l’État privilégie une intervention hors de tout texte législatif ou réglementaire, par le biais du seul exercice de son pouvoir discrétionnaire (ex: Dailymotion vs Yahoo ; Danone vs Pepsico ; Orangina vs Coca-cola) au nom d’un supposé patriotisme ou plutôt, nationalisme économique !
Conséquences :
– Chute des investissements étrangers par manque de confiance dans un état Français envahissant et dissuasif. La France est tombée dans les profondeurs du classement : 3e en 2007 et si l’on reprend les chiffres de la CNUCED (cf. début) après la 20e place aujourd’hui ;
– Repli sur soi dans un monde mondialisé avec de moins en moins d’entreprises « mondiales » ;
– Impact négatif sur la création d’emplois et la compétitivité des entreprises.
Conclusion :
Une politique irresponsable !
Tout ça pour quoi ? Satisfaire l’ego des politiques et flatter le nationalisme latent des populations ?
Et en même temps déclasser la France, diminuer le nombre d’emplois, mal préparer l’avenir, faire fuir les jeunes !
L’État doit rester dans son rôle et toute intervention en dehors de son domaine est néfaste pour le pays. Pour reprendre Benjamin Constant : l’État doit être fort dans les fonctions régaliennes et faible dans les autres domaines.
« Le patriotisme c’est l’amour des siens, le nationalisme c’est la haine des autres » (Romain Gary)
1 commenter
Emploi : l’État fait fuir les investisseurs étrangers
Je ne suis pas d’accord sur un point de détail de votre texte : la patriotisme économique est plutôt inversé ! Du point de vue de l’investisseur, le français et bien plus maltraité que l’étranger.
Il doit payer des prélèvements importants, plus l’ISF, et même depuis peu l’IR à 21 % d’avance sur les dividendes !
Alors que le gouvernement envoie par exemple Moscovoci en tournée au Quatar pour trouver des investisseurs, qui, selon un accord validé par le gouvernement, seront EXEMPTES de l’ISF sur leurs biens en France !