Il est assez surprenant de trouver dès la lecture de la page 14 du rapport du Crédit Suisse des chiffres que ne désavouerait pas Mother Jones, une des associations les plus anticapitalistes et extrémistes de gauche des États-Unis.
C’est Mother Jones qui est à l’origine d’une vidéo de quelques minutes où est décrit le spectacle inacceptable d’une population pauvre écrasée par une population riche dont le centile supérieur gagnerait quelques centaines de fois plus que la population moyenne ; ou dont les individus gagneraient en une heure ce que l’Américain moyen gagne en un an.
Ces chiffres sont évidemment des reprises de truquages statistiques dont les auteurs sont soigneusement cachés mais présentées comme des documents officiels.
Sans aller aussi loin, la page 14 du rapport du Crédit Suisse reprend, sans qualifier, des chiffres de distribution de patrimoines qui peuvent en effet faire croire que nous vivons dans un monde atrocement inégalitaire.
Par exemple, cette page montre que, pour la France, la part du patrimoine national possédée par les 10% de la population des moins riches est de – 0,2% ; oui, le lecteur a bien lu, son patrimoine est négatif et représente une dette de 0,2% de la richesse totale des Français. Pour les 10% suivants, c’est–à-dire ceux situés entre 10 et 20% des plus pauvres, ils sont toujours en dette mais celle-ci ne représente plus que 0,1%.
Il faut atteindre 30% de la population française pour commencer à voir des Français qui possèdent quelque chose mais très peu, 0,4% du total.
En d’autres termes, environ un quart des Français ne possèdent aucun bien et sont même en dette avec la collectivité.
C’est assez bien ce que présente Mother Jones pour les États-Unis en montrant aussi, dans sa distribution des patrimoines, que les plus pauvres ne possèdent absolument rien, sont en somme des SDF, des sans domicile fixe.
Sans être spécialiste de l’économie, on peut se demander pourtant comment il est possible qu’un quart des Français ne possèdent absolument rien, se trouve donc sans logement dont ils ont l’usage permanent, sans meubles ni réfrigérateur, ni, etc.
Certes, on connaît des très pauvres qui sans vivre dans la rue sont sans domicile fixe et sont logés dans des conditions provisoires par les assistances sociales ou secours populaires. Mais il est difficile de suivre les auteurs du rapport du Crédit Suisse pour penser que cette population représente un quart de la population.
L’explication de cette ineptie apparente se trouve dans la façon dont est mesurée la richesse qui fait l’objet du rapport du Crédit Suisse.
Elle l’est, à partir des patrimoines nets individuels, définis comme « la valeur de marché des portefeuilles financiers et biens non financiers ‘(principalement logement et terrains) moins les dettes » (page 4, premier paragraphe).
Cette définition est celle reprise par la plupart des instituts de statistiques ; mais le surprenant, venant d’une grande banque suisse, est que les auteurs se préoccupent immédiatement des erreurs –comme les non-réponses déjà évoquées dans l’article précédent- qui peuvent entacher l’évaluation de la richesse des plus riches, et y dépensent des trésors d’intelligence, mais ignorent les facteurs, pourtant élémentaires, qui corrigent les patrimoine des plus pauvres.
L’une des premières corrections est que les adultes les plus pauvres incluent beaucoup de jeunes encore en université vivant chez des parents riches ou aisés ; ils sont trop jeunes pour avoir eu le temps d’acquérir logement ou fortune personnelle et constituent pourtant un pourcentage non négligeable de la population figurant dans les plus pauvres.
La seconde correction est que cette mesure des patrimoines ne prend en compte que la part du patrimoine qui peut donner lieu à une évaluation marchande parce que vendable. Les retraites d’État, les droits aux soins de santé gratuits comme la CMU et toutes les aides sociales pour aider les plus défavorisés ne sont donc pas pris en compte.
Par opposition au « patrimoine gagné », celui généré par le travail des individus ou de leurs ascendants, le patrimoine que l’on peut désigner comme « patrimoine donné », donné par les politiques qui ont créé ces droits sociaux, en anglais les « entitlements », est devenu considérable.
Les seules retraites d’État constituent d’après une évaluation de l’INSEE de 2006 une masse patrimoniale aussi importante que l’ensemble du patrimoine vendable mesuré par l’INSEE.
Et ces retraites, obtenues par répartition, consistant à redistribuer entre retraités un prélèvement obligatoire payé par les actifs, n’est pas un patrimoine gagné comme l’est une retraite obtenue par accumulation mais est de même nature qu’une subvention ou aide sociale décidée par la loi. Les premiers retraités du système ont ainsi largement profité de retraites pour lesquelles ils n’avaient pas cotisé.
Si l’on y ajoute les autres droits accordés par l’État, détaillés et autorisés dans le PLFSS dont le poids dépasse maintenant largement celui du budget de l’État, qui comprend notamment les dépenses de Sécurité sociale, les aides au logement, etc. , il est très clair que le « patrimoine donné » est devenu largement supérieur au « patrimoine gagné ».
Ce patrimoine donné est particulièrement important pour les plus pauvres car c’est vers eux que se dirige le plus les aides sociales. Même aux USA, entre la retraite d’État (hors des retraites par accumulation telles que les 401K) et les différents budgets d’aides aux plus pauvres (« food stamps », Medicaid, etc.), le patrimoine donné explique que même ceux qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté ont, en moyenne, le bénéfice permanent d’un logement d’environ 200 mètres carrés, de deux voitures, d’un frigidaire et d’air conditionné, etc.
Mesurer le niveau des inégalités de patrimoine sans tenir compte du « patrimoine donné » n’a plus de sens, pas plus que de laisser croire qu’un quart des Français seraient dans la misère absolue.
Venant de Mother Jones, passe encore. Mais d’une grande banque suisse, on est surpris.
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.2. A l’appui des thèses de Mother Jones
Quelle est la réponse du « Crédit Suisse »?