On fait de belles prévisions financières, des plans à 5 ans… Tout cela est assez risible : on sait qu’il va y avoir des cycles et des dépressions, mais on ne sait pas où et quand les crises vont se manifester, ni ce qu’elles vont provoquer et comment les traiter. Exemples : les subprimes, et maintenant le coronavirus. L’intensité de la crise n’est pas prévisible, mais il semble qu’il faille crier gare aux conséquences financières auxquelles un redoutable effet de ciseau recettes/dépenses publiques, peut conduire. De quoi faire voler en éclats toutes nos belles prévisions.
Les recettes publiques
Pour ne parvenir qu’à un déficit public en-dessous de 100 milliards d’euros cette année, la France prévoit de limiter ses dépenses publiques à 53% environ de son PIB, à la condition que ce PIB augmente de 1,4% par rapport à 2019. Soit, sur la base d’environ 2.400 milliards en 2019, un PIB 2020 de 2.430 milliards et des recettes de 1.290 milliards.
Une stagnation du PIB d’une année sur l’autre signifierait un déficit augmenté de plus de 15 milliards sur l’année, soit 115 milliards. Or l’année a déjà mal commencé, avec une consommation des ménages ayant chuté de 1,1% en janvier de façon inattendue et non corrélée à l’épidémie de coronavirus intervenue postérieurement. On constate une baisse des ventes d’automobiles et dans les commerces de textiles et d’équipement du logement. La Bank of America se risque de son côté à prévoir une croissance de la zone euro de 0,6% seulement cette année.
Pour être plus précis, distinguons choc de demande et choc d’offre
Le choc de demande se manifeste déjà. La question est de savoir quelle sera sa durée, ainsi que combien de demandes perdues pendant la crise seront reportées pendant la phrase de reprise. La réponse à la première question est inconnue, mais on entend dire par les économistes que la courbe en V (chute brutale suivie par une reprise très rapide) observée pendant la crise du SRAS risque de ne pas se reproduire ici, pour laisser la place à une courbe en U. La réponse à la seconde question est variable suivant les secteurs. Les mesures du gouvernement tendant à limiter les rassemblements et la mobilité des personnes ont un effet mécanique évident sur le tourisme, les spectacles, les voyages et les dépenses liées à la mobilité comme l’hôtellerie-restauration, et ces dépenses ne seront que très peu reportées pendant la phase de reprise. Par ailleurs, le phénomène est mondial, et le poids de la Chine dans l’économie entre deux et trois fois plus élevé que pendant la crise du SRAS en 2003.
De façon générale, le risque est l’existence de peurs de la contamination affectant en cascade l’économie des pays. A l’heure actuelle, on ne note d’ailleurs aucune réponse paneuropéenne à la crise affectant l’Italie.
Le choc d’offre va s’ajouter au choc de demande dans la mesure où les échanges de produits risquent de se faire mal et avec des pénuries. Interrogé sur ce point, Carlos Tavares se montrait optimiste, disant que PSA disposait de plusieurs semaines de stocks et que seulement 3% de ses intrants provenaient de Chine. Ce qui n’est pas le cas de bien d’autres secteurs, pouvant être beaucoup plus affectés, et plus vite, que PSA. Les grands groupes français annoncent d’ores et déjà plus d’un milliard de pertes, provenant de l’importance de leur commerce avec la Chine et de leurs implantations dans le pays (Kering, Seb, Danone, Air France…)
A ce propos, les entreprises peuvent se trouver en difficulté. Le ministre des Finances a annoncé qu’il considérerait l’épidémie comme un cas de force majeure dans les marchés conclus avec les entreprises. La question juridique reste cependant entière dans les rapports privés. Il ne s’agit pas d’une catastrophe naturelle vis-à-vis des assureurs, mais il peut s’agir d’un cas de force majeure ou d’imprévision compte tenu des récentes révisions de la définition juridique de la force majeure, plus généreuse dans ses critères qu’elle ne l’était autrefois.
Les recettes publiques peuvent donc être affectées par ces différents chocs. Evidemment les recettes de TVA, première ressource fiscale (275 milliards en 2019), en fonction de l’effet de l’épidémie sur la consommation des ménages, mais aussi l’impôt sur les bénéfices des entreprises, et encore les prélèvements sociaux, voire les indemnités chômage, en fonction de l’effet éventuel sur l’emploi.
Les dépenses publiques
Elles ne devraient pas être affectées aussi généralement que les recettes. Néanmoins, il est certain que les dépenses de santé le seront, surtout que l’épidémie vient encore compliquer la tâche des hôpitaux, déjà en crise comme l’on sait. A quoi vont s’ajouter les dépenses de recherche des laboratoires ainsi que celles de fabrication des éventuels vaccins.
Il peut se produire d’autre part une intervention de l’Etat auprès des entreprises sous forme d’aides – on a vu que le ministère des Finances excuserait les défaillances des entreprises au nom de la force majeure.
Aux dernières nouvelles, l’OCDE développe deux scénarios, l’un optimiste qui se limite à une baisse très modérée de la croissance mondiale de 0,5%, l’autre, pessimiste et fondé sur une propagation de l’épidémie à l’hémisphère Sud, se traduisant par une baisse de moitié, soit 1,5% pour le monde, mais combien pour l’Europe ? L’OCDE évoque une récession pour l’Europe et le Japon au troisième trimestre. Du point de vue des déficits publics, il faudrait aussi intégrer un éventuel effet de ciseaux du fait de la hausse des dépenses publiques, à laquelle l’OCDE fait allusion en indiquant que les Etats devraient soutenir les entreprises en allégeant leurs charges et leurs impôts ou par des soutiens pour l’emploi.
Un possible déclencheur d’une crise de la finance mondiale ?
Voilà des années que l’on agite le spectre d’une nouvelle crise financière provoquée par le surendettement public et privé, et que les Cassandre se font de plus en plus insistants, se demandant quel en sera l’événement déclencheur. Certains évoquent la possible élection de Bernie Sanders aux Etats-Unis, dont le programme, s’il était appliqué, pourrait provoquer un Krach obligataire, suivi d’un stress de liquidité, d’une hausse des taux d’intérêt… N’allons pas plus loin, mais comme le monde a tiré sur la corde monétaire à son maximum, l’épidémie ne survient certainement pas à un bon moment !
L’OCDE accompagne d’ailleurs les commentaires que nous avons signalés par une réserve sur l’éventualité d’une crise financière provenant de la mauvaise qualité des dettes mondiales – que la perte de confiance persistante des marchés semble aussi craindre.