Tout paraissait pourtant parfaitement réglé : les commentateurs, prévisionnistes, économistes et experts divers étaient globalement d’accord : La demande en énergie allait continuer à croître, dopée par la croissance économique de quelques pays en voie de développement. La demande allait plus ou moins stagner dans les pays développés fortement touchés par la crise financière, le tout induisant une hausse au niveau mondial plus faible qu’à la fin du vingtième siècle.
Les énergies renouvelables, allaient voir leur développement s’accélérer fortement sans pour autant atteindre à horizon 2020 2030 des chiffres très significatifs, car leur place en ce début du siècle (à l’exception notable d’une grande muette, l’hydraulique) était inversement proportionnelle au bruit quelles engendraient dans la « communication globale ».
Le poids de la hausse globale allait donc continuer de peser sur les énergies traditionnelles, charbon, gaz et pétrole qui ne verraient pas leur place relative diminuer significativement avant le milieu du 21e siècle.
La contrainte climatique ne se desserrerait pas franchement non plus, certains états et non des moindres, comme les USA, la Chine la Russie ou l’Inde ne mettant plus (ou pas) ce sujet au plus haut de leur agenda. Tant pis pour quelques îlots du Pacifique dont la population aurait peut-être les pieds dans l’eau, et après tout, un climat un peu plus chaud, était-ce si grave ? Était-ce si sûr ?
Certains se résignaient à une hausse des prix inéluctable tandis que pour d’autres… elle était la bienvenue, stimulant les énergies renouvelables, dont la production était fortement subventionnée par des états (pas encore reconnus comme nécessiteux) et encouragerait le développement de l’efficacité énergétique des vieilles économies, tout en leur assurant un relai d’innovation, de compétitivité et de croissance…
Le recours au nucléaire pour la production d’électricité était un des seuls sujets de dissension : Oui ?, Non ? Faut-il aller de l’avant, renoncer à la suite de l’accident nucléaire japonais de Fukushima (qui n’a fait aucun mort…) ? Le monde politico-médiatique s’agitait, comptait les points. Les experts technico-politiques autoproclamés s’étripaient… Quand, dans beaucoup de pays le train continuait sa route à vitesse… moindre, certains prenaient, comme la France ou l’Allemagne, des décisions plus marquées par le poids des dosages politiques internes que par un intérêt économique ou stratégique bien compris. Mais… globalement au niveau mondial, les chiens aboient… la caravane passe !
Et puis, tel le mari de la pièce de théâtre de boulevard entrant sur scène quand il ne faut pas…, le développement des hydrocarbures non conventionnels aux USA est venu rebattre les cartes.
« Le mari » pourquoi « le mari » ? simplement parce qu’ils étaient là bien avant ces hydrocarbures de schistes que l’on feignait de découvrir, on les connaissait , on savait les exploiter, ce n’était pas révolutionnaire, ce n’était pas de la haute technologie, c’était les « petits » les « besogneux » qui s’en occupaient, ça ne faisait pas rêver… Mais ça marchait… Bref, le mari parfait… il suffisait que le prix du gaz et du pétrole monte suffisamment, que la population soit plutôt réceptive, que de petits entrepreneurs, en systématisant les processus, fassent baisser les coûts, qu’ils y gagnent correctement leur vie… et le développement a suivi. Le mari cocu a pris les habits de Tarzan !
Certes, tout cela est bel et bien, mais en quoi cela a-t-il rebattu plus de cartes qu’il n’y paraissait au début ? Souvenons-nous des prévisions dressées pour les USA il y a quelques années…
Une consommation de pétrole largement déficitaire par rapport à la production intérieure (malgré la croissance de la production d’éthanol dans les grandes plaines du midwest… nouvelle frontière d’un temps ») ;
Une production de gaz déclinante ne couvrant plus une consommation en croissance, au point que les projets de construction de terminaux de réception de gaz liquéfiés venant de l’étranger fleurissaient sur toutes les côtes.
Quelle réalité aujourd’hui ?
La production de pétrole, grâce aux pétroles de schistes, est repartie à la hausse et les importations diminuent. Le pays est devenu excédentaire en gaz du fait de la production des gaz de schistes et de charbon.
Le prix du pétrole à l’intérieur des USA est resté lié au prix du brut importé donc à un niveau très rémunérateur de 80-100 $/bbl jusqu’à peu.
Une part importante de la production de pétrole de schistes contient du gaz associé, ce dernier est donc devenu en quelque sorte une production « fatale » que l’on peut vendre quel qu’en soit le prix.
Le gaz de schistes n’ayant pas de débouchés extérieurs faute d’une logistique qui avait été conçue pour l’importation et non l’exportation, a dû trouver ses débouchés en interne. Les prix du gaz se sont donc effondrés pour se retrouver sous la parité charbon pour la production électrique. L’industrie manufacturière américaine a vu aussi ses coûts énergétiques fortement baisser, lui redonnant une compétitivité externe, qui n’est que partiellement compensée par la hausse du $. C’est particulièrement le cas pour l’industrie chimique qui a remplacé le naphta au prix mondial du pétrole par l’éthane extrait des gaz de schistes au prix du gaz interne, redonnant une compétitivité nouvelle au détriment de l’Europe et du Moyen-Orient à cette branche industrielle. Il en est de même pour l’industrie du raffinage, la sidérurgie, et toutes les industries « energy intensives ». C’est une partie significative de l’industrie lourde européenne qui pourrait se délocaliser aux USA…
Faut-il que les USA ouvrent leurs frontières à l’exportation de gaz liquéfié ? Le débat fait rage, d’un coté les producteurs qui aimeraient voir leur production mieux valorisée, de l’autre les consommateurs domestiques et industriels pour qui ces bas prix sont une aubaine à laquelle même dans leurs rêves les plus fous ils n’avaient pas pensé ! On s’orienterait vers quelques autorisations, pour quelques terminaux et quelques compagnies productrices…
Cela a eu aussi pour effet de « décarbonner » partiellement l’économie américaine, la combustion du gaz naturel à production calorifique constante étant moins émettrice de CO² que celle de charbon, ce qui a permis au président Obama de « verdir » son discours à peu de frais à la veille des conférences de Lima puis de Paris l’année prochaine et de faire des ouvertures climatiques vers la Chine…
Le charbon produit, mais non brûlé aux USA dans les centrales électriques a trouvé un exutoire en… Allemagne pour cette même production électrique, où il a remplacé du gaz venant d’URSS… Peut-être « opportunément » vu les tensions entre l’Europe et la Russie actuelles, mais mettant aussi au chômage les centrales à gaz allemandes… ; Cela a relancé le débat sur la place du gaz dans l’industrie électrique européenne et celui de l’usage du charbon et du lignite en Allemagne… Les émissions de CO² dans ce pays sont reparties à la hausse contrairement aux engagements pris… ce qui a motivé les déclarations sur ce sujet de Mme Merkel renvoyant les électriciens d’outre-Rhin a leurs responsabilités !
Quid du pétrole dans cette histoire ? Nous assistons probablement actuellement à l’acte 2 de notre comédie, l’acte 1 ayant été consacré au gaz.
Le développement de la production américaine a permis sans aucun doute de passer quelques crises géopolitiques ces dernières années sans encombre (Lybie, Irak, Russie…), mais force est de reconnaitre qu’il y a maintenant excédent de production au niveau mondial, d’où la chute des prix.
L’Arabie saoudite ne veut pas jouer seule le rôle de « swing Producer » (ce n’est pas nouveau).
Elle aimerait sûrement bien que l’Iran participe à la peine, elle n’est sûrement pas très heureuse du rôle joué par les Russes dans la région et une baisse du prix du brut va pénaliser lourdement la Russie. La production américaine est assez liée au niveau des prix, Il est probable que l’on va assister à une baisse des forages aux USA pour les pétroles et les gaz de schistes, et donc à un repli ou une stagnation de la production dans les mois qui viennent. Cette baisse des prix va aussi redonner un peu d’air aux économies européennes qui en ont bien besoin et un peu de pouvoir d’achat en berne dans notre beau pays… si Bercy ne cède pas à la tentation de refiscaliser la baisse des prix d’ici six mois, au nom de la vertu écologique… ou pour « punir » les pétroliers ! Elle risque de ralentir un peu l’expansion des énergies renouvelables, particulièrement dans le domaine du transport, qui est plus réactif que le résidentiel et le tertiaire, et rendre les subventions insuffisantes.
Nous avons affaire à un bras de fer politico-économique qui se résoudra mais qui, pour une fois, ne nous est pas trop défavorable !
Où cette baisse des prix va-t-elle s’arrêter ?
Ne me le demandez pas, j’ai appris d’une longue pratique professionnelle :
Que les prix du pétrole sont imprévisibles, trop de paramètres entrent en ligne…
Que les prévisions d’offres et de demande d’énergie sont faites pour ne pas se réaliser, ce qui ne veut pas dire que ce soit un exercice vain.
Que les spéculations sur la fin du pétrole sont ce qu’elles sont, et relèvent plus de l’imprécation que de la vérité scientifique.
Que… L’âge du pétrole, c’est comme l’âge de pierre, il ne s’est pas terminé faute de cailloux.
Que la vraie contrainte est peut-être le climat si ce que dit le GIEC est vrai…
Qu’Il ne faut jamais baisser la garde en matière de technologie dans le domaine de l’énergie, c’est une des clés du développement de demain (avec probablement les TIC et la santé). Et c’est la seule politique de « non regret » qui vaille, à condition de ne pas en faire une religion exclusive avec ses saints, ses démons, ses excommuniés et ses autodafés!