Depuis 20 ans, les républicains ont gagné deux fois la majorité à la Chambre des représentants et au Sénat mais n’ont jamais réussi à prendre le contrôle des institutions économiques qui assistent le Congrès. Pour faire mieux en 2015, suite à leur victoire aux élections de mi-mandat, ils doivent mieux s’occuper des institutions du Congrès qui sont aux mains des démocrates, selon le Wall Street Journal[[« How to Score in Congress », Wall Street Journal, le 3 décembre 2014.]].
Cela signifie s’occuper du Joint Committee on Taxation et du Congressional Budget Office, qui évaluent l’impact de la fiscalité et des dépenses publiques sur l’économie et les recettes de l’État. Le CBO est souvent présenté par les médias comme un organisme indépendant qui surveille le travail des politiques. Mais en réalité il a été créé par la majorité démocrate pour contester les présidents républicains et défendre les propositions des démocrates.
Le CBO a été créé en 1974 par une loi, intitulée Congressional Budget and Impoundment Act, proposée par la majorité démocrate et adoptée, sans enthousiasme, par le président Nixon un mois avant sa démission. Cette loi a eu pour but de limiter le droit du président de refuser les dépenses votées par le Congrès (« impoundment » en anglais). Elle a également redonné autorité au Joint Committee on Taxation.
Désormais toute loi votée par le Congrès doit être accompagnée d’une évaluation de son impact sur les dépenses ou les recettes de l’État. Mais il n’y a aucune garantie que les agents du CBO ou du Joint Tax fassent leurs estimations mieux que les membres du Congrès qui préparent ces lois.
Congressional Budget Office, refuge des keynésiens
Restant fidèle à ses origines démocrates, le CBO s’appuie sur des modèles économiques qui partent de l’hypothèse que l’augmentation des dépenses publiques conduirait à la croissance économique. D’autre part, les évaluations du CBO ont tendance à méconnaître le rôle des mécanismes du marché qui accompagnent toute réforme du gouvernement. Ainsi, le CBO sous-estime systématiquement les dépenses sociales liées aux droits sociaux (« entitlements »).
Plus routinière mais aussi nuisible est la méthode de la prévision du budget de l’État, appelée « baseline budgeting », qui prévoit pour chaque année une révision automatique à la hausse des dépenses publiques (en fonction de l’inflation et de la croissance démographique). Tout écart à la baisse est alors considéré comme une réduction des dépenses publiques.
Pourtant, tout cela ne veut pas dire que les agents du CBO soient malhonnêtes ou conspirateurs. Ils sont tout simplement emprisonnés dans les règles imaginées par les démocrates.
Joint Committee on Taxation, vision irréaliste de l’économie
Le problème du Joint Tax est qu’il évalue les recettes fiscales de l’État sans prendre en compte l’impact des réformes fiscales sur le comportement des contribuables. Par exemple, il évalue l’impact de l’augmentation du taux d’imposition comme si les contribuables continuaient de se comporter de la même façon malgré la hausse du taux de 35% à 44%[[Le taux marginal d’imposition aux États-Unis est actuellement de 39,6% + 3,8% de contribution supplémentaire au régime Medicare (« Medicare Tax »).]]. Les baisses du taux d’imposition ne sont pas non plus associées au fait qu’elles incitent les contribuables à travailler ou à investir davantage. Il faut rappeler les sous-estimations systématiques des recettes de l’État, faites par le Joint Tax, quand les taux d’impôt sur les plus-values ont été abaissés par l’administration de Bush de 25% à 15% en 2003 et ont entraîné un triplement de leurs recettes fiscales.
Une des raisons pour lesquelles les républicains n’ont pas réussi à introduire davantage de réformes après avoir remporté le Congrès en 1994 et 2002 est qu’ils n’ont jamais abrogé ou remplacé les règles ou les institutions mises en place par les démocrates. La solution la plus astucieuse sera de supprimer le CBO et le Joint Tax pour ouvrir le débat public sur le rôle du système fiscal et des dépenses publiques dans l’économie. Il faut permettre aux politiques d’être responsables de leurs propositions et de ne plus se cacher derrière les estimations dites « officielles ».
Mais si pour beaucoup de raisons cela est peu envisageable, les républicains ont désormais tous les droits – et les obligations – de nommer à la tête de ces institutions des personnes qui partagent leurs convictions, notamment sur comment créer la croissance.
Nominations de vrais experts
À présent, les démocrates essaient de convaincre les républicains de garder à la direction du CBO le démocrate Douglas Elmendorf, parce qu’il est docteur en économie et, en outre, quelqu’un d’honnête. Mais par ailleurs il se trouve qu’il est keynésien, et cela pose un problème. Personne n’a dit qu’il fallait engager pour un tel poste un économiste diplômé ; pourquoi ne pas considérer quelqu’un qui aurait une expérience sur les marchés financiers ou au Trésor ?
Parmi les personnes, suggérées par le Wall Street Journal, qui pourraient potentiellement prendre la direction du CBO ou du Joint Tax, sont Stephen Entin de la Tax Foundation, qui a beaucoup travaillé sur l’impact du système fiscal sur la croissance, notamment au sein du Trésor, ou encore David Malpass, un des économistes le plus en vue de Wall Street avec son expérience dans la finance, au Trésor sous la présidence de Reagan, et au Congrès sous celle de George H. W. Bush. Une autre personne suggérée par le quotidien est Richard Burkhauser de l’université de Cornell, dont nous avons cité des travaux à plusieurs reprises, qui a parfaitement dénoncé le mythe des inégalités.
Sans changement de leurs méthodes, le CBO et le Joint Tax vont continuer à saboter tout effort des républicains de réformer le gouvernement et d’augmenter la croissance. Il vaut mieux supporter dans un premier temps le scepticisme des médias, qui ne s’attendent pas à un tel changement, que de voir les agents du Congrès démolir encore une fois le plan de réformes préparé par les républicains pour les deux années à venir.
Pour la France, si l’on fait un parallèle avec l’impuissance des politiques, cela veut dire changer Bercy, puisque ce sont les fonctionnaires de ce ministère qui détiennent le monopole dans le débat public sur le rôle du système fiscal et des dépenses publiques dans l’économie. Avec ses méthodes de prévisions archaïques et ses modèles économétriques qui rappellent tristement ceux du CBO ou du Joint Tax, et pas du tout ceux du Trésor britannique, Bercy ne nous laisse guère d’espoir de changement sans renoncement idéologique.