Au-delà de la réforme systémique des retraites, devenue probablement acceptable dans son concept par la majorité des Français, mais suspecte et anxiogène dans son exécution pour beaucoup de citoyens, se pose un problème de mathématiques financières simple.
Avec une durée de vie plus longue en France – en 1945, 60 ans, en 2019, 79,5 ans pour les hommes et 85,4 pour les femmes – et un temps de travail raccourci – entrée dans la vie professionnelle à 14 ans en 1945, à 18 ans (au mieux) en 2019 – comment assurer un équilibre budgétaire des régimes de retraite ?
Comment, si ce n’est par idéologie aveugle, ne pas admettre cette équation arithmétique évidente régissant le triptyque : études travail retraite ? Bouleversé en 70 ans par le rétrécissement de l’un de ses côtés – le temps de cotisation -, et l’accroissement significatif des deux autres – l’allongement des périodes scolaires et universitaires et de la vie -, ce triangle ne peut plus survivre !
Bien des efforts de réformes, sévèrement contestées en leur temps (Balladur, Raffarin, Fillon) ont réussi à accroître la durée d’activité des salariés. Cependant, l’âge de départ en retraite effectif en France – 60,5 ans – reste inférieur à celui de l’Allemagne, 63,6, du Royaume Uni, 65, des États-Unis, 67, du Japon, 70,6 ans.
Ainsi, les plus de 55 ans français travaillent-ils moins que leurs voisins : 52,1 % d’entre eux dans notre pays, 65,0 % en Grande Bretagne, 71,4 % en RFA, 77,9 % en Suède !
Refuser la réalité objective de ces chiffres et leurs conséquences en termes de capacité de financement des régimes de pension, relève de la pure cécité intellectuelle.
Revient alors un argument fréquemment entendu chez les salariés : souhaiter travailler plus longtemps exige que les employeurs l’acceptent ; alors qu’aujourd’hui ils exercent plutôt une pression contraire poussant l’employé sénior au départ.
On perçoit ainsi la responsabilité et le rôle déterminant de l’entreprise dans la résolution de cette équation sociale majeure : assurer les moyens de financement des assurances retraite par l’emploi des aînés.
D’abord, changeons le paradigme né à la fin des années 70 et visant à faciliter les restructurations par le départ -favorisé par les pouvoirs publics- des pré-retraitables de plus en plus jeunes. Cette politique, devenue état d’esprit, a fini par créer au sein des organisations une véritable discrimination entre générations, faisant, progressivement et insidieusement, remonter la séniorité jusqu’aux collaborateurs de… 45 ans. Ainsi s’est créée, selon le sociologue Serge Guérin, une nouvelle classe d’âge, les « Quincados » (45/65 ans) précédant celle des retraités.
Inversons alors notre mode de pensée : considérons le senior comme un atout à valoriser par et pour l’entreprise, comme un investissement justifiant son coût, comme une personne susceptible d’une adaptation de son poste à son état physique.
Plusieurs pistes méritent l’exploration :
En priorité, la formation continue apparaît le facteur clé. « Une partie des enfants naissant aujourd’hui vivront cent ans. Comment imaginer qu’ils arrêteront de se former à 25 ans ? (M. Scarpetta OCDE). Au-delà des organismes privés ou publics, l’entreprise doit rester, ou devenir, un acteur de mise à jour permanente des savoirs, pour son développement, pour celui de ses collaborateurs.
Ensuite, vient la recherche de l’adaptation des métiers, des postes aux différents âges de la vie : orientation progressive vers des fonctions de transmission, création de tuteurs, d’équipes mixtes avec un expert et un jeune…
Enfin, peut-être faut-il imaginer en termes de coût, le développement systématique du principe du cumul emploi + retraite. Cette pratique permettrait l’allègement des charges de l’employeur, le maintien, voire l’amélioration du pouvoir d’achat du pensionné, la diminution des engagements des caisses de retraite.
Il existe probablement d’autres pistes à inventer.
Les entreprises avec leurs salariés, accompagnées par leurs fédérations professionnelles et les partenaires sociaux, doivent prendre le leadership de ce projet de société.
Aux pouvoirs publics de prendre les décisions, aux entrepreneurs et à leurs collaborateurs de les préparer !
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Rigidité
Le projet de « retraite universelle par points » met cruellement le doigt sur une spécificité française qui bloque toute réforme : la rigidité. Au nom de la justice et du droit pour chacun de faire valoir ses inégalités, on règlemente tout, on crée des catégories corporatives, on impose ou on interdit au secteur privé ce que le secteur publique s’octroie (fonds de pension Préfonds Retraite), etc. Le problème de fonds est le suivant : voulons nous une société unique contrainte pilotée par un acteur unique l’Etat (ce vers quoi Macron nous emmène à grand pas), ou voulons nous une société libre où, tout en maintenant une fraternité (c’est mieux que solidarité) indispensable à une cohésion sociale, chacun puisse choisir et décider de la façon dont il veut conduire son entreprise, choisir son travail, préparer son avenir et sa retraite, instruire et éduquer ses enfants, se soigner, se loger, etc.