Page d'accueil Études et analyses A propos de l’ordonnance Amazon, un signal désastreux pour toutes les entreprises

A propos de l’ordonnance Amazon, un signal désastreux pour toutes les entreprises

par Bertrand Nouel
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L’objet essentiel de cet article est de s’inquiéter des conséquences désastreuses pour l’ensemble des entreprises françaises de l’ordonnance du tribunal de Nanterre rendue dans le litige opposant Amazon à l’un de ses syndicats. Il n’est pas à titre principal d’analyser la décision ; toutefois nous présentons en encadré quelques observations proprement juridiques qui peuvent être intéressantes dans le cadre de la procédure d’appel.

Le litige concerne la filiale française d’Amazon, société américaine, chargée de la gestion des entrepôts français, qui a été assignée par l’Union syndicale Solidaires afin essentiellement de voir interdire l’activité d’Amazon. La décision rendue ordonne d’abord de procéder à l’évaluation des risques professionnels et de mettre en œuvre les mesures en découlant, et d’autre part restreint dans l’intervalle les activités d’Amazon aux seuls produits alimentaires, d’hygiène et médicaux, le tout sous astreinte de 1 million d’euros par jour et par infraction. Nous discutons en encadré les raisons qui permettent de penser que cette ordonnance devrait être réformée, compte tenu des erreurs considérables de fait et de droit qui l’entachent. Telle qu’elle se présente toutefois, l’ordonnance, à supposer qu’elle fasse jurisprudence, se révèle lourde de conséquences catastrophiques, non seulement pour Amazon, ses salariés, sous-traitants et clients, mais plus gravement encore pour les risques qu’elle entraîne chez toutes les entreprises françaises désireuses de conserver ou redémarrer leur activité.

L’obligation de sécurité du Code du travail

Aux termes de l’article L 4121-1 du code du travail,
« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »

Cet article est complété par plusieurs autres détaillant de façon talmudique les procédures à suivre avec les représentants du personnel, la rédaction d’un document unique…

Le terme « mesures nécessaires » est d’un vague absolu, permettant toutes les interprétations discrétionnaires de la part de l’inspection du travail et des tribunaux. En l’occurrence, le tribunal, tout en reconnaissant l’existence de mesures prises par Amazon en réponse aux demandes de l’inspection du travail, s’est fondé essentiellement sur l’absence de preuve du respect des procédures réglementaires, comme les procès -verbaux de réunions, de rédaction de documents, sans retenir véritablement de manquements avérés à l’obligation de sécurité.

La compétence du tribunal en matière de référés, juge de l’évidence en cas d’urgence, suppose légalement l’existence d’un « trouble manifestement illicite ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que le tribunal n’établit en rien qu’un tel trouble se soit produit, et encore moins qu’il soit manifeste. L’ordonnance, rédigée de façon très embrouillée et prolixe, fait preuve de la gêne rencontrée par les juges. Surtout, elle n’indique pas quelles sont les mesures nécessaires qui n’ont pas été prises et n’offre donc aucune possibilité à Amazon de se conformer à la décision. Ajoutons qu’aucune violation du décret du 23 mars 2020 « prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire » n’a été retenue contre Amazon, dans la mesure où les dispositions concernant les rassemblements de 100 personnes ne sont pas applicables ici.

Amazon se trouve donc condamnée sans savoir pourquoi ni comment se mettre en règle. Enfin, la restriction aux activités concernant les produits alimentaires, d’hygiène et médicaux présente plusieurs problèmes : elle ne correspond à rien du point de vue légal ; elle n’est pas conséquence logique du non-respect de l’article du Code du travail cité (c’est tout ou rien) ; enfin elle est incertaine quant à la définition des produits visés, et donc non susceptible d’application, de sorte qu’Amazon a raison d’arrêter complètement ses activités.

Les conséquences de la décision

Le non-respect de l’obligation de sécurité a de multiples conséquences légales potentielles. Il est d’abord puni pénalement par des amendes et de la prison ; il permet au tribunal, comme le montre la décision présente, d’interdire toute activité de la part de l’employeur ou de prendre toute sanction civile ou pénale ; il rend enfin responsable l’employeur à l’égard du salarié qui serait victime du non-respect de l’obligation de sécurité. En l’occurrence, l’employeur risquerait d’être déclaré responsable des conséquences de la maladie d’un salarié, sans pouvoir établir que cette maladie n’a pas été contractée dans l’exercice de son travail. C’est en effet un renversement de la charge de la preuve classique en France en cas de maladie professionnelle, l’employeur étant présumé coupable et dans l’impossibilité de fait de se défendre.

La décision rendue contre Amazon montre que tout employeur peut se trouver dans la même situation d’être déclaré fautif pour des raisons obscures, souvent de pure forme, et appréciées de façon discrétionnaire par les juges. Pour les petites entreprises particulièrement, c’est une incitation très forte à ne pas reprendre leur activité.

Quelques observations juridiques sur la décision du tribunal de Nanterre :

1. Amazon n’a pas soulevé l’incompétence du juge des référés pour inexistence d’un « trouble manifestement illicite », ce qui est regrettable. Les mesures prises par Amazon ont certainement été supérieures à celles prises par la majorité des entreprises dans la même situation, et se sont heurtées au refus de discussion opposé par les syndicats pour des raisons idéologiques, refus auquel le tribunal fait allusion.
2. Le tribunal ne s’explique pas sur le caractère « insuffisant » de l’évaluation des risques faite par Amazon, ni sur la nature des « mesures complémentaires » exigées, ce qui est d’autant plus inacceptable qu’une astreinte d’un niveau considérable est prévue.
3. La restriction ordonnée quant à la nature des produits est non seulement inapplicable en raison de l’indétermination de son amplitude, elle est aussi sans rapport avec le « trouble illicite » sur lequel le tribunal fonde sa décision. La demande du syndicat de restriction à la vente de produits alimentaires, d’hygiène et médicaux est liée en subsidiaire à celle d’arrêt de l’activité des entrepôts « en ce qu’ils rassemblent plus de cent salariés dans un même lieu clos ». Le tribunal rejette cette demande au motif que l’argument n’est pas recevable aux termes du décret du 23 mars. Le syndicat a présenté une autre demande concernant « l’évaluation des risques professionnels », demande qui a été partiellement acceptée ; mais elle n’était accompagnée d’aucune demande de restriction d’activité, ni d’astreinte au niveau de 1 million. En mélangeant les demandes alors qu’il refuse la demande principale, le tribunal statue « ultra petita » (outre les demandes). On peut ajouter que la restriction d’activité n’a aucun lien logique avec le motif pris d’évaluation des risques.
On peut enfin regretter qu’Amazon n’ait apparemment pas soulevé cette question de restriction partielle d’activité devant le juge.

On ne peut qu’espérer que la Cour d’appel réforme cette décision. La Cour pourrait condamner Amazon si nécessaire à refaire une évaluation des risques procéduralement conforme, mais sans pour autant prévoir une astreinte aussi considérable, ni surtout l’assortir d’une restriction partielle d’activité démesurée et inapplicable.

 

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3 commentaires

zelectron avril 20, 2020 - 10:12 am

Le communisme est en marche
L’outil préféré des juges rouges : le sophisme (le plus tordu possible)

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YVES BUCHSENSCHUTZ avril 20, 2020 - 10:54 am

Merci à l’Union Syndicale Solidaire et au Tribunal de Nanterre : ça c’est de la pub !
Merci d’abord à Bertrand Nouel d’avoir eu le courage et la compétence pour débrouiller cet incroyable imbroglio juridique. Je ne comprends pas toujours tout mais quand même un peu mieux. Plus important à mes yeux d’ancien chef d’entreprise : résultat 1 : AMAZON est condamné à limiter ses livraisons aux petits pois de première nécessité ! résultat 2 : AMAZON suspend son activité en France « sine die ». AMAZON en France ( et je suis pas un client régulier) c’est 6,8 Mds d’investissements depuis 2010, 1 siège, 20 sites logistiques dont 6 entrepôts de livraison, 9300 emplois en CDI, 10 000 emplois chez des vendeurs partenaires, 13 000 emplois dans d’autres chaînes d’approvisionnements, 100 000 créateurs accompagnés ! Dans un contexte d’asphyxie économique aigüe de notre pays, c’est inespéré. Nous pourrions embaucher 9300 juges et 10 000 syndicalistes pour compenser. Et ne vous en faites pas, cette histoire se réglera peut-être mais elle est déjà en train de faire le tour du monde La cible a une notoriété mondiale et instantanée. Mieux que les bébés nageurs d’Evian en leur temps. A propos, où trouvez-vous les cartouches d’encre pour votre imprimante en ce moment ? chez le poissonnier ? Le message est limpide : Installer une activité en France, ce n’est pas sérieux.

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CHOLLEY avril 20, 2020 - 12:29 pm

Une décision absurde et inefficace
Comme les livraisons fonctionnent toujours, c’est maintenant Amazon.de (deutschland) qui peut expédier les colis.
Cela demande juste un peu plus de temps et augmente le chômage partiel.

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