Le problème de la dette est au cœur des préoccupations de notre nouveau gouvernement et l’on attend de voir comment François Bayrou va s’y prendre pour bâtir le budget de la France pour 2025.On nous parle de 30 milliards d’économies et de 20 milliards de recettes fiscales supplémentaires. L’objectif, on le sait, est d’en arriver à un déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB en 2029, et l’on voit bien que ce sera difficile puisque l’on en est à plus de 5 % aujourd’hui.
Mais il faudrait, pour assainir la situation, avoir véritablement l’ambition d’équilibrer nos comptes dès 2029, car à 3% de déficit on en est encore à s’endetter, et notre dette est déjà considérable.
Il va donc falloir faire bien plus d’économies que ne le prévoit notre premier ministre. Et pour cela, il va falloir expliquer aux Français pourquoi nous nous endettons.
Ce qu’il se passe, c’est que notre économie ne produit pas assez de richesse, et l’État se trouve contraint de faire d’importantes dépenses publiques pour soutenir le niveau de vie de la population. Les observateurs de notre vie économique nous disent : « On a trop de dépenses publiques », mais ils n’expliquent pas pourquoi : aussi, le public en déduit-il que l’État est laxiste, qu’il gaspille l’argent public, que nous avons beaucoup trop de fonctionnaires, etc… On a affaire à des explications simplistes, d’une grande banalité !
Mais personne n’explique la raison véritable pour laquelle nous nous endettons : c’est pour procurer aux Français un meilleur niveau de vie que celui que l’économie du pays est en mesure de leur fournir.
Déjà Raymond Barre, que Valery Giscard d’Estaing avait qualifié de « meilleur économiste de France », nous avait donné l’explication réelle de notre endettement : il avait déclaré le 22 septembre 1976, en présentant son plan aux Français (le Plan Barre) : « La France vit au dessus de ses moyens : il faut que nous remettions l’économie française en ordre ». Mais on continua à s’endetter, sans rien corriger. Aussi, Thierry Breton, en 2005, alors qu’il était ministre de l’Économie, dut-il, à son tour, alerter les Français, leur disant : « La France vit au dessus de ses moyens » ; et il avait rajouté : « La croissance passe par le fait de travailler plus, et plus longtemps ». Et, à nouveau, ce nouvel avertissement était resté sans effet.
Il faut comprendre pourquoi nous nous endettons.
Une économie qui réalise de très mauvaises performances.
Tout le problème vient de ce que l’économie française réalise de très mauvaises performances. C’est ce qu’a montré une étude de la Division des Statistiques des Nations Unies, parue en 2018, qui a examiné comment les économies des pays se comportent sur une longue période. Nous reproduisons, ci-dessous, les résultats de cette étude pour un certain nombre de pays européens, en prolongeant les séries jusqu’à 2021, et en rajoutant le cas de d’Israël qui est tout à fait remarquable :
PIB/tête (US dollars courants )
1980 | 2000 | 2017 | 2021 | Multiplicateur | |
---|---|---|---|---|---|
Israël | 6.393 | 21.990 | 42.452 | 52.170 | 8,0 |
Espagne | 6.141 | 14.556 | 28.356 | 30.103 | 4,9 |
Suisse | 18.879 | 37.937 | 80.101 | 91.990 | 4,9 |
Danemark | 13.881 | 30.734 | 57.533 | 68.007 | 4,9 |
Allemagne | 12.091 | 23.929 | 44.976 | 51.200 | 4,2 |
Pays-Bas | 13.794 | 20.148 | 48.754 | 57.767 | 4,2 |
France | 12.669 | 22.161 | 38.415 | 43.659 | 3,4 |
La tendance de fond d’évolution de notre économie est à une croissance faible, et il semblerait bien que même les dirigeants du pays ne s’en soient pas aperçus car ils sont, en permanence, focalisés sur des problèmes de court terme, puisque c’est là-dessus qu’ils sont jugés.
Un niveau de vie supérieur aux capacités de l’économie :
L’INSEE publie, régulièrement, des études sur le niveau de vie dans les pays européens, et il les chiffre en monnaie courante et en PPA (Parité de Pouvoir d’Achat). On avait, pour l’année 2021, les chiffres suivants :
PIB/capita (En US$) | Niveau vie annuel,en PPA (En Euros) | |
---|---|---|
Bulgarie | 13.974 | 12.235 |
Roumanie | 15.786 | 9.791 |
Pologne | 18.688 | 15.315 |
Grèce | 20.867 | 11.277 |
Portugal | 24.715 | 14.668 |
Espagne | 29.674 | 18.564 |
France | 40.886 | 23.056 |
Allemagne | 48.718 | 27.228 |
Pays Bas | 57.025 | 26.449 |
Danemark | 67.790 | 25.509 |
Luxembourg | 125.006 | 34.472 |
Le graphique ci-dessous montre la corrélation entre les niveaux de vie des pays et les PIB/capita :
![](https://irdeme.b-cdn.net/wp-content/uploads/2025/02/correlation-niveau-vie-etPIBpar-tete-1.jpg)
L’équation de la droite de corrélation indique que nous sommes, en matière de niveau de vie, à 17,6 % au dessus de ce que l’économie du pays est capable de produire. Les Français vivent au-dessus de leurs moyens, et c’est donc bien ce qui explique pourquoi nous avons à nous endetter, chaque année. Et cela fait cinquante ans que cela dure.
Des salaires en moyenne conformes à la norme
Il faut voir, tout d’abord, ce qu’il en est du niveau des salaires dans notre pays. Nous avons les chiffres suivants :
PIB/capita (US$) | Salaire mensuel moyen (US$) | |
---|---|---|
Pologne | 22.112 | 1.529 |
Hongrie | 22.147 | 1.584 |
Portugal | 27.275 | 2.150 |
Espagne | 32.677 | 2.640 |
Italie | 38.373 | 3.141 |
France | 44.460 | 3.821 |
Allemagne | 52.745 | 4.492 |
Belgique | 53.475 | 4.058 |
Suède | 56.305 | 5.249 |
Pays Bas | 62.536 | 4.785 |
Danemark | 67.967 | 6.100 |
En faisant une corrélation avec les niveaux de vie, on voit que
la France se situe pratiquement sur la droite de corrélation : le salaire moyen mensuel des Français est de 3.821 dollars, alors que l’équation de la droite le situerait à 3.664 dollars , soit un excès de 4,3 % seulement.
L’écart de niveau de vie relevé plus haut ne provient donc pas des salaires. On en déduit que ce sont les aides apportées par l’État, sous les formes les plus diverses, qui permettent à notre niveau de vie d’être plus élevé que celui que permet l’économie du pays.
Les aides apportées par la Puissance publique :
Les aides apportées par l’État sont très importantes, et elles revêtent les formes les plus diverses. Le tableau ci-dessous indique comment nous nous situons par rapport à l’UE :
Dépenses publiques (en 2023)
Dép. sociales (En % PIB) | Dép.fonctionnement (En % PIB) | Dép.Publiques (En % PIB) | |
---|---|---|---|
France | 32,2 % | 25,1 % | 57,3 % |
UE | 27,0 % | 22,4 % | 49,4 % |
En valeur, pour l’année 2023, on a les écarts suivants (en milliards d’euros) :
France | UE | Ecart | |
---|---|---|---|
Dépenses sociales…… | 903 | 757 | 146 |
Dépenses autres…..… | 704 | 629 | 75 |
Total | 1.607 | 1.386 | 221 |
Ce sont donc ces 221 milliards d’euros de dépenses publiques excédentaires par rapport aux autres pays qui expliquent que notre niveau de vie a été supérieur en 2023 à ce que l’économie était à même de produire. Le coup de pouce donné par l’État à notre niveau de vie a coûté à la nation 221 milliards d’euros, cette année là.
L’État apporte, en effet, une aide considérable aux régimes de retraite, il finance le chômage, il permet à tous d’accéder aux soins de santé quasi gratuitement, il prend à sa charge la formation de la jeunesse et il subventionne fortement les transports publics. C’est ce que l’on appelle « le modèle français » ; et il faut y rajouter le SMIC et le RSA.
Où sont les excès ?
Le 13 janvier dernier, nous avions chiffré à 196 milliards les économies à réaliser pour que notre budget soit en équilibre en 2029 : c’est à dire un chiffre très proche de celui indiqué ci-dessus.
C’est donc, à présent, aux services des Finances et aux commissions parlementaires de procéder à des comparaisons internationales assez fines pour savoir où nous avons des excès, poste par poste.
Il est vraisemblable qu’ils vont trouver qu’ils se situent principalement dans le domaine des dépenses sociales : l’écart, par rapport à la moyenne de l’UE, est de 146 milliards d’euros.
Pour bien comprendre, le mécanisme (récurrent ô combien ) est le suivant : l’État identifie une charge individuelle pour les citoyens, ie quelque chose qu’ils aimeraient bien avoir mais qu’ils ne peuvent ou ne choisissent pas de se payer ? des vacances au ski par exemple. On va inventer tout à coup un « chèque ski ». S’il est accessible à tous c’est un transfert de dépenses pur et simple : tous les skieurs partent gratuitement désormais et récupèrent le pouvoir d’achat correspondant, la charge étant désormais supportée par l’État.
Mais comme l’État n’a pas l’argent, il va augmenter les impôts ! Si cela est considéré comme trop voyant, on va le mettre à la charge des entreprises (= prime Macron ou jours de carence ou 35 heures ….). Si cela risque de trop crier, on va emprunter et augmenter la dette (puisqu’on ne la remboursera pas !). Afin de paraître encore plus social, on introduira une limite de revenus : c’est ainsi que la taxe d’habitation supprimée pour le vulgum pecus, se retrouve 2 ans plus tard dans la taxe foncière (tiens, les propriétaires ne construisent plus !) ou dans la taxe d’habitation maintenue pour les résidences secondaires augmentée au passage de 60 % !!! (autres exemples vécus : le pass culture1 ou le ressemelage des chaussures).
Nous nous endettons pour distribuer du pouvoir d’achat non produit par nous.
Mais, politiquement, entreprendre de toucher aux « dépenses » sociales est extrêmement délicat, et on cherche quel homme politique français va oser le dire et se risquer à les réduire.
La question qui se pose est alors la suivante : la France va-t-elle attendre que ce soit, un jour, le FMI qui s’attelle à la tâche ?
Ce serait tout à fait déshonorant pour le grand pays que nous avons été. Il est donc temps que les Français prennent conscience de la nécessité de prendre, eux-mêmes, leur sort en main, et, pour cela il faut qu’ils acceptent de travailler plus ou de réduire leur niveau de vie, et qu’ils arrêtent d’emprunter pour se faire des cadeaux en asphyxiant au passage les entreprises2 !
- Sans tenir compte au passage des frais de fonctionnement de tous ces guichets de distribution ↩︎
- On pourrait aussi donner les téléphones portables et les joints aux frais des entreprises ? pourquoi non ? cela recréerait du niveau de vie disponible. ↩︎
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