Nous parlons toujours des entreprises innovantes. Mais qui est capable de définir une entreprise innovante ? La meilleure définition que nous ayons entendue est que l’entreprise innovante est celle qui a réussi.
Est-il nécessaire pour ce qui est de l’innovation, d’avoir une recherche fondamentale très développée ? La question est d’autant plus pertinente en France que nous dépensons beaucoup pour la recherche mais que nous créons très peu d’entreprises. Or, l’innovation n’existe vraiment que quand elle s’incorpore dans les produits de tous les jours.
L’un des ouvrages les plus importants sur ce sujet a été « L’invention dans l’industrie » publié en 1966 par Jewkes, Sawers et Stillerman qui, dans une recherche pour le département du Commerce américain, ont montré que les 60 plus grandes inventions du 20ème siècle, comme l’acier à l’oxygène, la fermeture éclair, la bande velcros, etc. ont été pour la plupart faites par un individu isolé et non par des grandes entreprises.
En effet, dans une très grande entreprise, la recherche est très généralement corsetée par le marketing.
C’est ce qu’ont compris les grandes sociétés dynamiques comme Google ou Cisco, que la croissance ne pouvait se faire qu’en rachetant d’autres entreprises ou en créant les innovations.
Ce sont les idées que développe le Wall Street Journal dans un article[[Matt Ridley, The Myth of Basic Science, Wall Street Journal du 26 octobre 2015.]] paru le 26 octobre dernier sur les mythes de la science fondamentale et l’innovation.
On ne se rend pas compte, mais une grande partie des inventions sont faites par des ingénieurs qui bricolent autour de leurs idées plutôt que par des chercheurs qui vérifient les hypothèses. Paradoxalement, la science fondamentale n’est pas si fertile en inventions qu’on pourrait le croire.
Si, lors d’une partie de pêche, Thomas Edison n’avait pas vu les fibres d’un morceau de bambou provenant de sa canne à pêche, jeté au feu, briller sans se désintégrer, aurait-on eu l’ampoule électrique quelques années plus tard ? Bien sûr que si. On connaît au moins 23 inventeurs de différentes versions de la lampe à incandescence bien avant son introduction par Edison Electric Light Company, future General Electric.
Ceci est vrai pour les autres inventions. Elisha Gray et Alexander Graham Bell ont déposé leur brevet pour le téléphone le même jour. Quand Google a pointé le bout de son nez en 1996, il existait déjà d’autres prototypes de moteurs de recherche. On connaît six inventeurs du thermomètre, cinq du télégraphe, quatre de la vaccination, cinq du bateau à vapeur, six de la locomotive électrique et quatre de la photographie. L’histoire des inventions n’est qu’une succession de coïncidences.
Il se passe la même chose dans les sciences fondamentales. Charles Darwin a été incité à publier sa théorie après avoir lu un article d’Alfred Russel Wallace qui résumait exactement les mêmes idées qu’ils ont eues tous les deux après la lecture de l’Essai sur le principe de la population de Malthus.
L’économiste de Stanford Brian Arthur décrit la technologie comme un organisme qui se reproduit et s’adapte à son environnement tout seul. Pensez, par exemple, au récif corallien qui est aussi un organisme vivant. Il ne peut pas exister sans les poissons qui le construisent et l’entretiennent ; il en est de même pour la technologie et les inventeurs. Ce sont des organismes complexes qui ne poursuivent qu’un seul but, propre aux organismes vivants : assurer leur pérennité.
Les inventeurs ne sont que des pions dans le processus de l’invention. Ils suivent plutôt que conduisent l’innovation. La technologie trouvera toujours ces inventeurs, et non pas l’inverse.
Les politiciens ont tort quand ils pensent qu’il suffit d’appuyer sur un bouton pour produire une innovation. Pour eux, les découvertes de la science fondamentale sont systématiquement reprises par la science appliquée pour devenir ensuite les technologies innovantes. C’est pourquoi ils ont eu une idée « purement patriotique » de financer les chercheurs en haut de cette pyramide pour s’assurer qu’ils produisent suffisamment d’innovations pour leur pays.
Mais quelle erreur, qui remonte d’ailleurs aux idées de Francis Bacon, philosophe et haut fonctionnaire britannique du 17e siècle, qui voulut reproduire les efforts des Portugais au 15e siècle dans la recherche sur la navigation et la cartographie pour triompher dans le commerce internationale et la colonisation de l’Amérique.
L’idée que la science conduit à l’innovation, qui conduit ensuite au commerce, est complètement fausse. Il se trouve que le gouvernement n’a pas besoin de financer l’innovation avec l’argent des contribuables, puisque c’est le rôle de l’industrie. Souvent une innovation entraîne un afflux de financement dans le domaine de la science sur les principes de laquelle elle repose. Ainsi, la découverte de la machine à vapeur a permis de financer la recherche en thermodynamique.
Pendant plus d’un demi-siècle on nous a laissé croire que la science n’aurait pas de financement si le gouvernement ne le faisait pas, et que la croissance économique ne serait pas possible sans le financement de la science par le contribuable. C’est ce qu’a montré l’économiste Robert Solow en 1957 en disant que l’innovation technologique était la seule source de la croissance économique, au moins dans les sociétés qui n’agrandissent pas leur territoire ou n’accroissent pas leur population. Ses collègues Richard Nelson et Kenneth Arrow ont aussi montré quelques années plus tard que le financement de la science par le gouvernement était nécessaire puisqu’il était moins cher de copier les innovations que de conduire la recherche fondamentale.
Le seul problème avec toutes ces démonstrations est qu’elles sont toutes purement théoriques. Dans le monde réel, il existe la recherche avec le financement privé qui se trouve assez fertile. Nous ne connaissons toujours aucune démonstration empirique sérieuse du besoin de financement de la recherche par l’argent public, et le passé nous suggère plutôt le contraire.
En 2003, l’OCDE a publié un rapport sur les sources de la croissance économique dans les pays-membres. Une des conclusions remarquables de ce rapport était qu’entre 1971 et 1998, la recherche à financement privé a bien contribué à la croissance économique, alors qu’aucune preuve n’a été trouvée pour la recherche à financement public. Ce résultat époustouflant n’a jamais été repris. C’est tellement délicat de l’évoquer devant la grande thèse qu’il nous faut soutenir la recherche et l’innovation avec l’argent public qu’il reste ignoré dans le milieu politique.
L’économiste du Bureau of Labor Statistics américain Leo Sveikaukas a aussi montré en 2007 que le rendement des différentes formes de recherche publique était près de zéro, et que « plusieurs éléments de la recherche universitaire et gouvernementale avaient des taux de rendement tellement bas qu’ils ne pouvaient contribuer à la croissance économique qu’indirectement, voire pas du tout ».
L’efficacité de la recherche publique est d’autant plus faible en France que, malgré tous les efforts, il n’y a jamais eu vraiment d’intégration entre l’entreprise privée et la recherche publique, sauf bien entendu quelques exceptions, parce que le corps professoral estime généralement indigne de mêler la recherche au profit.
Mais dans les autres cultures, par exemple en Suisse, les liens entre la recherche, comme dans le cas de l’EPFL (École polytechnique fédérale de Lausanne), et les entreprises sont tellement étroits que les recherches sont menées très souvent avec un intérêt pour le concret. Les fruits de cette complémentarité sont directement visibles.
De même, l’installation d’un institut scientifique à l’université d’Orsay n’a engendré que quelques start-up, alors que son modèle en Californie en a créé des centaines.
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Euréka
L'étatisation de l'innovation tue l'innovation !