Mais pourquoi donc la France est-elle incapable de maîtriser ses dépenses publiques, alors que toute l’Europe a pris depuis le début du siècle les mesures nécessaires pour parvenir à réduire des dépenses ? Nous analysons ce constat à partir de l’étude réalisée par France Stratégie, puis nous nous demanderons pourquoi il en est ainsi, particulièrement à l’heure actuelle où les programmes des différents partis ne visent qu’à augmenter les déficits publics jusqu’à faire preuve d’une « folie » dénoncée par les économistes et le Président de la République.
L’étude de France Stratégie.
Cette étude, datant de 2018, vise à étudier le cas de la France par comparaison avec les pays européens, sur une période allant de 2000 à 2016.
- Sur les 27 pays analysés, la France est le seul pays à n’avoir connu aucune année où les dépenses publiques ont diminué. La Belgique, l’Italie et le Danemark ont connu de nombreuses années de réduction des dépenses publiques, toutefois inférieure à 2 points de PIB, et les 23 autres pays ont connu un, ou deux selon les cas, «épisodes où un pays européen a réussi sur une période de cinq ans à baisser le poids structurel de sa dépense publique structurelle d’au moins 2 points de PIB ».
- Les pays peuvent être regroupés en trois groupes : le premier réunit dix pays d’Europe centrale et orientale, mais la réduction n’est pas significative d’une effort particulier dans la mesure où cette réduction est le résultat mécanique de l’augmentation très importante de leur PIB – ce qui n’est pas le cas de la France. Le second groupe est composé des pays ayant bénéficié d’un programme d’assistance : Grèce, Portugal, Espagne,Chypre et Irlande. Ce groupe non plus n’est pas significatif d’un exemple que pourrait suivre la France, car ces pays n’ont pas eu le choix des mesures qui leur ont été imposées par la fameuse « troïka »1, sort peu enviable auquel la France a toutes les raisons de vouloir échapper.
Le troisième groupe enfin comporte 7 pays ayant connu un ou deux épisodes de réduction telle que définie ci-dessus : Suède (2 épisodes), Finlande, Autriche, Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas (2 épisodes), et Royaume-Uni. L’exemple de ces pays est intéressant pour la France dans la mesure où il n’existait pas de contrainte particulière pour eux autrement que le désir de rester dans les limites budgétaires fixées par l’Europe.
3. Quels types de mesures ont été prises dans les pays de ce dernier groupe ?
Indiquons seulement pour le premier groupe que France Stratégie retient comme mesures essentielles la baisse de la masse salariale et le recul de l’investissement public. Pour les pays du dernier groupe :
Suède et Finlande.
4. Pour France Stratégie, « La Suède et la Finlande se distinguent par l’ampleur de la baisse structurelle de leur ratio de dépenses, chacun de l’ordre de 7 points de PIB en l’espace de cinq ans, de 1996 à 2001. Cette baisse a certes été facilitée par la vigueur concomitante de leur croissance potentielle, mais elle s’est faite dans le cadre de programmes de transformation profonde suite aux crises bancaires et aux récessions qui ont frappé les deux pays au début des années 1990 : réforme en profondeur de la protection sociale en Suède, notamment en matière de retraites, dont le système a été intégralement refondu en 1998 ; réforme des transferts sociaux en Finlande, dans le sens d’un moindre universalisme et d’une baisse des prestations (notamment par des mesures de désindexation). La Suède a connu un deuxième épisode d’ajustement au milieu des années 2000, via une réforme des régimes de prise en charge de la maladie et de l’invalidité visant à augmenter le taux de participation au marché du travail ». Par ailleurs, la Direction du Trésor a commenté en 2012 les mesures prises par la Suède et leur résultat2. Elle n’a pas ménagé son admiration de la méthode utilisée pour parvenir au consensus et à l’acceptation des réformes, consistant à les présenter au public très en avance et à obtenir la collaboration de toutes les parties en présence. Elle a aussi loué le succès remarquable à terme des réformes.
Allemagne.
Il s’agit ici des réformes Schröder bien connues, datant du début des années 2000. Elles ont mis durement à contribution les dépenses de protection sociale : santé, retraites, et surtout travail (réformes Hartz). Le slogan allemand « fordern und fördern » (protéger en exigeant) n’a hélas jamais connu de succès en France…Au-delà, l’Allemagne connaît un contrôle budgétaire strict qui s’est notamment manifesté dans la baisse des subventions et de l’investissement public. Voir aussi la décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe en 2023 sur l’interdiction de la réaffectation pratiquée en 2022 de 60 milliards de crédits budgétaires prévus pour la crise sanitaire et non utilisés, en violation de la règle limitant les nouveaux emprunts publics à 0,35% du PIB.
Royaume-Uni et Pays-Bas.
France Stratégie met ces deux pays en parallèle pour avoir pris entre 2009 et 2015 le même type de mesures, consistant à limiter leurs dépenses d’investissement public, et surtout celles d’emploi public : moins 10% au RU, et moins 8% aux Pays-Bas, pour ces dernières. Au RU, ce sont surtout les dépenses d’éducation, de défense, d’ordre et de sécurité qui ont été affectées, aux Pays-Bas la réduction de l’emploi dans les services généraux arrive en tête. Dans les deux pays les dépenses de retraite ont au contraire augmenté.
Quelles conclusions pour la France ?
France Stratégie conclut de son constat qu’il n’existe pas de « solution magique », bien que la tendance générale soit à la réduction de la masse salariale publique3 et à celle des transferts sociaux, à quoi il faut ajouter pour les ajustements les plus importants la réforme des procédures budgétaires. A ce sujet l’étude mentionne la Suède et la Finlande, mais c’est aussi évident pour l’Allemagne, comme on l’a vu pour la récente décision de la Cour de Karlsruhe rappelée. Enfin,France Stratégie conclut que « baisser structurellement le poids des dépenses publiques, de 2 à 3 points de PIB sur cinq ans, n’a rien d’inatteignable ».
Cette dernière affirmation s’adresse évidemment à la France, mais n’est pas suivie d’une analyse des raisons pour lesquelles le pays n’a rien fait en ce sens.
Pour tous les pays considérés, il est certain que les réformes ont été réalisées dans la douleur, et ont porté principalement sur la réduction des missions de l’Etat, particulièrement en qualité d’Etat-providence. On notera qu’en France beaucoup d’observateurs socio-économiques abandonnent le combat en jugeant impossible d’obtenir un consensus sur des mesures d’austérité dans le cadre français de la démocratie. Pourtant, les pays européens analysés sont aussi des démocraties…
On entend souvent justifier la position de ces observateurs par l’affirmation simpliste que la France a choisi une autre voie. Ce qui est exact, mais sans se demander si cette voie n’est pas une impasse dans le contexte actuel de la mondialisation, simplement parce qu’elle conduit inéluctablement à devoir plier sous les exigences économiques de la troïka comme l’on fait la Grèce, l’Espagne et le Portugal. Un débat absent, celui de la pertinence de la politique keynésienne dans le cas présent. On retiendra en tout cas que les réformes qui peuvent être qualifiées d’austérité prises par les pays européens n’ont pas conduit ces pays à une chute de leur PIB, que bien au contraire c’est celui de la France qui a chuté, et que la doxa française qui veut attribuer tous les avantages au multiplicateur keynésien des dépenses publiques mérite d’être mise en cause amplement.
En attendant, on retient son souffle à constater qu’aucun des partis, y compris le parti actuellement majoritaire, appelés à se prononcer sur leur programme en vue des prochaines élections ne se comporte autrement qu’en tournant au contraire complètement le dos à la moindre mesure d’austérité. En témoignent les mesures-phares que ces partis revendiquent, portant sur l’abrogation des réformes, datant du Président actuel mais aussi du Président précédent, sur les retraites, sur l’assurance-chômage, sur le droit du travail, les hausses du smic et des salaires, les baisses de TVA etc .autrement dit sur les sujets sur lesquels ont précisément porté les réformes analysées par France Stratégie…
- Commission européenne, BCE et FMI. ↩︎
- Trésor-Eco No 105 ↩︎
- Nous étudierons dans une prochaine étude la comparaison de l’emploi public en France et dans les pays qui nous entourent.
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3 commentaires
La foultitude des fonctionnaires s’y oppose avec férocité
leur nombre dépasse la raison
Le statut des fonctionnaires leur donne un pouvoir de nuisance important. Cependant ce sont bien les élus qui permettent l’accroissement du nombre de fonctionnaires et des déficits qui vont avec. A noter quand même que ces sont les dépenses sociales qui pèsent le plus dans les déficits.
[…] Mais pourquoi donc la France est-elle incapable de maîtriser ses dépenses publiques, alors que toute l’Europe a pris depuis le début du siècle les mesures nécessaires pour parvenir à réduire des dépenses ? Nous analysons ce constat à partir de l’étude réalisée par France Stratégie, puis nous nous demanderons pourquoi il en est ainsi, particulièrement à l’heure actuelle où les programmes des différents partis ne visent qu’à augmenter les déficits publics jusqu’à faire preuve d’une « folie » dénoncée par les économistes et le Président de la République. (écrit par Bertrand Nouel pour l’Institut de Recherche de la Démographie des Entreprises) […]