La menace de cession à une entreprise indienne de la firme Biogaran, qui est en France le leader des médicaments génériques, défraye ces jours-ci la chronique. Biogaran, filiale de Servier, un groupe qui a été fortement ébranlé ces dernières années par l’affaire du Mediator, est un entreprises qui produit 32 % des génériques en France, et elle a un chiffre d‘affaires de 750 millions d’euros. La presse ne manque pas d’ironiser, rappelant qu’Emmanuel Macron, au lendemain de la crise du Covid-19 qui avait mis en lumière le fait que la grande majorité de nos médicaments sont fabriqués à l’étranger, avait affiché sa ferme volonté de voir les médicaments essentiels à nos vies être dorénavant produits en France. Et Xavier Bertrand, le Président de la Région des Hauts de France, plaide pour sa paroisse : il s’élève contre la fermeture de cette unité de production qui représente 240 emplois directs et, dit-il, plus de 8.000 indirects.
Le problème qui est soulevé par cette affaire est celui de la viabilité de firmes dont les prix des produits sont sous le contrôle de l’Etat. Toute notre industrie pharmaceutique, précisément, est dans ce cas du fait que notre système de santé assure le remboursement de la plupart des médicaments dont la population a besoin. Il en résulte que la France est le pays européen où les médicaments sont les moins chers, une étude suédoise récente ayant montré que les écarts sont en moyenne de l’ordre de 25 % : chaque pays européen fixe, avec son HTA (Health Technology Assesment) ses propres prix, et la tutelle française est particulièrement sévère du fait que notre Sécurité Sociale est très déficitaire : 19,7 milliards d’euros, en 2022 !.
Il faut voir, donc, ce qu’il en est du prix des génériques. Ce sont des médicaments dont les brevets sont échus : ils ont la même efficacité thérapeutique que la spécialité de référence, mais ils sont vendus moins chers, et cela intéresse donc vivement notre Sécurité Sociale qui est en permanence déficitaire. Comme c’est le cas pour tous les médicaments remboursés, le prix est fixé par négociation avec le CEPS ( Comité économique des produits de santé) après avis de la HAS ( Haute autorité de santé) qui s’appuie, elle-même, sur l’ASHR (Amélioration du service médical) ; et la décision de remboursement est finalement prise par l’autorité de tutelle qui est le ministre de la santé.
Les médicaments génériques sont donc des médicaments, par nature, anciens, qui se trouvent, lorsqu’une entreprise raisonne sa stratégie en recourant à la matrice d’analyse stratégique du BCG, sur la ligne du bas : il s’agit d’un Domaine d’Activité Stratégique (SBA) où l’entreprise se trouve en position dominante mais dont le marché n’est plus en expansion : par définition il s’agit, là, d’activités qui génèrent un cash important, et c’est avec ce cash que l’entreprise va nourrir sa R&D et s’organiser pour conquérir de nouveaux marchés, c’est-à-dire se développer. Dans ces activités, les marchés ne sont plus en croissance et l’entreprise peut fixer les prix comme elle le veut : si ce n’est pas le cas, elle se défait de ces activités. On voit donc que si par des interventions inappropriées de l’Etat on lamine les prix des produits anciens où l’entreprise a acquis une position dominante on la prive de sa capacité de faire de la R&D et d’investir pour gagner de nouveaux marchés. Le jeu consiste pour une entreprise à utiliser l’argent gagné sur les marchés arrivés à maturité pour aller se positionner sur les marchés porteurs d’avenir, des marchés qui sont en développement.
C’est bien ce qui explique que le groupe Servier souhaite se défaire de sa filiale Biogaran, et c’est ce qui explique que notre industrie pharmaceutique souffre et décline : de par la façon aveugle dont procèdent les pouvoirs publics pour avantager notre Sécurité Sociale. Dans l’Usine Nouvelle du 30 mars dernier le journaliste Julien Cottineau a publié un article intitulé : « Fleuron pharmaceutique sur le déclin : comment la France est en train de perdre le match des exportations ». Il explique dans cet article que la France est de plus en plus dépendante de l’importation de médicaments innovants et coûteux, alors que ses exportations sont faites de médicaments anciens à bas prix. Et, précédemment, en février 2021, un sénateur de la Nièvre, Joly Patrice, avait adressé à la ministre déléguée auprès du ministre de l’Economie chargée de la Santé un rapport attirant son attention sur les problèmes de notre industrie pharmaceutique : il dénonçait l’absence d’une politique publique industrielle nationale et il tirait la sonnette d‘alarme.
On comprend bien la nécessité pour l’Etat de laminer les prix des médicaments, mais les firmes privées ont leur mode de fonctionnement et on ne peut pas interférer aveuglement dans celui-ci. Les entreprises sont condamnées à faire de la croissance : ce sont les activités arrivées à maturité, où la firme domine, qui permettent de financer les investissements à faire pour assurer la croissance de l’entreprise : c’est une logique implacable, et précisément, dans le cas présent, on voit la puissance publique priver nos entreprises pharmaceutiques de la possibilité de financer les investissements nouveaux qu’elles ont à faire pour assurer leur avenir. A défaut, la logique voudrait donc que nos médicaments « basiques » soient produits par des entreprises nationalisées : mais c’est alors l’Etat qui aurait à intervenir pour fournir, chaque année, les financements nécessaires pour procéder aux investissements à effectuer pour ouvrir de nouveaux marchés. Il y va de l’avenir de tout ce grand secteur d’activité, un secteur qui fait la prospérité de notre voisin, la Suisse, et que nous entravons dangereusement dans son développement.
Claude Sicard, auteur de « Le Manager Stratège » et de « L’Audit de Stratégie » (Dunod), professeur honoraire à Paris-Dauphine.
2 commentaires
Un pays en quasi-faillite qui emprunte pour distribuer des % de PIB non produits en France, ne peut pas être un bon acheteur et être bien servi ! Vous êtes trop bon marché pour être un fournisseur fiable 🙁
Toute honte bue, Servier continue à desservir les intérêts du pays qui l’a nourrit pendant tant d’années