Le Trésor, perdu

par Dominique Mercier
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Le Trésor a sorti une note sur l’impact d’un programme public de fonds d’amorçage lancé en 1999. Au total l’État a investi 22 millions d’euros dans 11 fonds et sociétés d’amorçage. Il évalue, 15 ans plus tard, les résultats de cette politique …

On lit au début du rapport[[Évaluation d’impact du programme public de fonds d’amorçage lancé en 1999, Trésor-Eco n°127, avril 2014.]] que « La création d’entreprises technologiques [repose] peu sur de la dette bancaire et fait plutôt appel à des acteurs comme les proches du créateur d’entreprise, les business angels ou les investisseurs en capital organisés en fonds ». Constatant que les montants investis par les fonds en amorçage étaient « très limités » en France, l’État a donc mis en œuvre un programme utilisant de l’argent public pour augmenter le total des sommes investies par ces fonds.

En réalité, cette solution a totalement manqué de réalisme. S’il est vrai que les créations d’entreprises sont financées par des proches du créateur ou des business angels, en revanche, les investissements par les fonds en phase d’amorçage sont quasi-inexistants : 1% des investissements en nombre pour 0,1% des sommes investies d’après les chiffres donnés par le rapport pour 1998. Cela confirme les chiffres américains de la National Science Foundation, qui indiquent que seulement 400 entreprises en amorçage sont financées chaque année par des fonds aux États-Unis, contre 500.000 entreprises employeuses créées au total, dont 25.000 entreprises de forte croissance.

Cette situation s’explique par une raison simple : le fonds d’amorçage est un modèle non viable[[ Les fonds investissent des petits montants dans des entreprises très risquées, avec des frais de gestion (sélection des entreprises) incompressibles trop importants par rapport aux sommes investies.]]. Les montants investis par l’État ont été finalement assez faibles – 22 millions d’euros en 15 ans – mais on vérifie une nouvelle fois que lorsque l’État cherche à faire ce que le marché n’arrive pas à faire, le résultat est loin des attentes.

Les chiffres du Trésor confirment ainsi des taux de rentabilité interne négatifs, entre -11% et -3%[[-11% pour les fonds d’amorçage nationaux investis et de -3% pour les fonds d’amorçage régionaux investis]]. Par ailleurs, la création d’emplois est très faible, environ 1.000 emplois en 15 ans, alors que d’autres investisseurs publics et privés ont abondé ces fonds. Malgré ces éléments, le rapport ne conclut pas clairement sur la non-pertinence du dispositif : « La littérature ne permet pas de conclure […] Notre étude ne permet pas non plus de conclure sur ce point ». Ainsi, malgré 8 pages d’analyse détaillée, de graphiques et de chiffres en tout sens, l’administration fiscale n’a pas compris la logique économique du financement des start-up et l’inanité de vouloir financer des entreprises par des fonds d’amorçage. Pire, la note indique que « Le programme a contribué à structurer le paysage français de l’amorçage ».

Surtout, le rapport ne compare ces performances à aucune alternative possible d’aide aux start-up. Le rapport indique que d’ « autres modèles seraient imaginables : soutien par des business angels, fonds sectoriels […]. » Mais cette première piste des business angels n’est nullement explorée ni approfondie, alors que c’est en réalité là que réside le nœud du problème et donc de la solution.

Les études Irdeme montrent en effet clairement le lien entre l’investissement par les business angels et la croissance des entreprises. Or, d’après les rares estimations et chiffres disponibles, le nombre tout comme les montants investis par les business angels français seraient particulièrement ridicules comparés à leurs voisins. D’après une étude de 2012 du Centre for Strategy and Evaluation Services[[Evaluation of EU Member States’ Business Angel Markets and Policies Final report, Centre for Strategy and Evaluation Services, octobre 2012, p.57]], le montant investi par chaque business angel français est tellement faible (16.000 euros) qu’il faut en moyenne 14 business angels pour financer un projet alors que moins de trois sont suffisants au Royaume-Uni.

Comment expliquer que les investissements par les business angels français soient aussi faibles?

Il suffit pour cela de comparer les fiscalités britannique et française sur les investissements réalisés par un business angel « typique ». Contrairement à la France, le Royaume-Uni a compris depuis longtemps que pour avoir des start-up dynamiques, il faut une fiscalité incitatrice pour les investisseurs potentiels.

Comparaison récapitulative
France Royaume-Uni **
Montant d’investissement par ménage éligible à déduction d’impôt à l’entrée 100.000 euros 1 million de livres
Moins-values de cession déductibles de l’assiette de l’impôt sur le revenu Non Oui
Taxation moyenne des plus-values de cession d’un business angel 35% * 0%

* Taux effectif de taxation sur les plus-values entre 32,75% et 39,5 pour des cessions de titres de PME au sens communautaires, acquis ou souscrits dans les 10 ans de leur création. Hypothèse d’une durée de détention entre 1 et 8 ans. Hypothèse d’une imposition sur le revenu de 45%, d’une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus de 4% et d’une CSG déductible de 5,1% en année n-1. Voir : BNP Paribas
** Les business angels au Royaume-Uni investissent via le dispositif EIS (Enterprise Investment Scheme), qui leur permet de bénéficier de tous les avantages listés dans le tableau. Pour plus d’informations, voir : www.gov.uk

Explication du tableau :

Au Royaume-Uni, on constate que :

– Les business angels britanniques ont des « crédits à l’entrée » (déduction d’impôt) jusqu’à un million de livres d’investissement dans une start-up ;
– Ils peuvent déduire leurs pertes de l’assiette de l’impôt sur le revenu : l’État prend donc à sa charge une partie de la perte et donc une partie du risque financier de l’investissement ;
– Ils sont également exemptés de taxation sur les plus-values de cession s’ils revendent leur part plus de trois ans après l’investissement.

Par comparaison, en France :

– Les business angels français obtiennent un crédit à l’entrée sous forme de déduction d’impôt pour un investissement maximal de seulement 100.000 euros[[Dispositif Madelin, pour un couple. Pour un investissement via le dispositif ISF-TEPA, le plafond d’investissement est de 90.000 euros.]] ;
– En cas de pertes, ils peuvent les imputer sur les gains des plus-values de cession, mais pas sur leur revenu salarié, alors que c’est en général la principale source de revenu d’un business angel. Dans un grand nombre de cas et au vu de la complexité du système, l’investisseur n’arrivera souvent pas à déduire ses pertes[[Dans la pratique il est en effet extrêmement difficile de compenser les gains et les pertes car les plus-values sont immédiatement constatées lors de la revente alors que pour les moins-values, comme il n’y a pas de revente, il faut attendre –parfois des années- l’élément juridique attestant de la moins-value (au minimum le dépôt de bilan).]] ;
– En cas de plus-value, le business angel sera taxé à un taux effectif moyen autour de 35% de sa plus-value.

Ainsi quand le business angel français fait un gain, il est fortement taxé. Mais quand il fait une perte, il peut difficilement la déduire.

Dans un environnement aussi hostile à la prise de risque, il ne faut donc pas s’étonner qu’un entrepreneur français soit dans la quasi-impossibilité de trouver des financements au-delà de 50.000 euros, et que la création d’emplois soit atone. Malheureusement, notre administration ne s’en est toujours pas aperçue, ou feint de ne pas s’en apercevoir. Nous attendons qu’une École Nationale de Perfectionnement Administratif soit créée afin d’y remédier.

 

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1 commenter

Paul juillet 1, 2015 - 5:30 pm

surtout pas
attention
L'énarchie souscrirait volontiers à un échelon supplémentaire dans la formation de nos hauts fonctionnaires.
Ne lui mettons pas cette idée en tête, même sur le ton de l'humour Car il es exclu qu'un fort en thème au biberon public depuis son adolescence puisse saisir ce qu'est entreprendre.
Une suppression de l'ENA et une profonde réforme de Bercy ne peut être épargnée à la France

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