Après les campagnes menées contre les inégalités de revenus et devant l’évidence que ces inégalités se sont considérablement réduites dans les 50 dernières années, les égalitaristes ont été chercher le 1% des revenus les plus élevés pour tenter de montrer que leur part dans le revenu n’avait cessé de monter. Et comme les chiffres ne soulevaient pas de haut-le-cœur, ils se sont rabattus sur une dernière trouvaille, l’inégalité de fortune, aussi appelée inégalité de patrimoine.
L’horreur serait que le 1%, celui responsable de la plus grande partie de nos malheurs collectifs, ceux qu’il faut donc taxer car leur rapacité détruit notre société, ce 1% représenterait un pourcentage de la totalité des patrimoines, double du pourcentage conquis en matière de revenus.
En d’autres termes, les inégalités seraient encore plus grandes en matière de patrimoine acquis qu’en matière de revenus.
C’est donc la guerre contre les patrimoines qu’il faut mener encore plus que contre les revenus, d’où toute une série de mesures punitives dont l’ISF est la plus symbolique.
Le seul problème est qu’il s’agit d’une imposture statistique qui est grave, car non seulement c’est une imposture, mais ses conséquences sur les politiques publiques sont de réduire l’investissement dans la création d’entreprise, d’accroître le chômage et d’accroître les inégalités.
Comme le rappelle l’OCDE : « L’emploi est la voie la plus prometteuse pour réduire les inégalités. Le principal défi consiste à créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité, offrant de bonnes perspectives de carrière et des chances réelles d’échapper à la pauvreté ».
Et c’est le 1% qui est responsable dans la plupart des pays d’environ la moitié des investissements dans les entreprises.
Ce dont les égalitaristes n’ont cure car ils sont pour la quasi-totalité payés sur budgets publics et leur intérêt personnel coïncide avec une réduction de la sphère d’influence privée, une augmentation de la sphère publique même si cette augmentation se traduit pas plus de chômage et de misère.
Le scandale d’après les égalitaristes
. | France | États-Unis |
Dans total revenus | 8,9% [[ » Toujours plus d’inégalité : Pourquoi les écarts de revenus se creusent « , Note-Pays : France, OCDE, 2011.]] | 20,9% [[« Trends in the Distribution of Household Income Between 1979 and 2007 », Congressional Budget Office, October 2011.]] |
Dans total patrimoines | 17% [[ » Les inégalités de patrimoine s’accroissent entre 2004 et 2010 « , INSEE Première N°1380, novembre 2011.]] | 34,6% [[Wolff, E. N., « Recent trends in household wealth in the United States », Working Paper No. 589, Annandale-on-Hudson, NY: The Levy Economics Institute of Bard College, 2010.]] |
De ce tableau, il est clair que les inégalités sont plus fortes aux USA qu’en France (c’est peut-être aussi la raison pour laquelle la croissance économique a été beaucoup plus forte aux USA qu’en France mais c’est un autre sujet.)
Il est plus remarquable de constater que la part du 1% est sensiblement double lorsqu’exprimée en patrimoine de ce qu’elle apparaît lorsque mesurée en revenu.
Ce qui permet aux égalitaristes de tourner leurs flammes contre les inégalités de patrimoine.
Mais ce multiplication par deux est le résultat d’une double imposture.
Une première imposture statistique
La première imposture est que les inégalités de patrimoine sont calculées avant redistribution de revenus alors que les inégalités de revenus et la part attribuée au 1% sont calculées après redistribution, c’est-à-dire après avoir pris en compte les aides et bénéfices sociaux attribués aux plus pauvres : RSA en France, food stamps aux USA, retraites, droits gratuits aux soins (Medicaid, CMU).
Rappelons que l’INSEE évalue à 16% du PIB les transferts en nature et 17% du PIB les transferts en espèces, soit un total de 33% pour les transferts sociaux ; même si une grande partie est détournée par la bureaucratie à son profit et une autre partie reprise aux plus pauvres par les taxations, notamment indirectes, un montant de l’ordre de la centaine de milliards d’euros aboutit en net sur le quantile le plus défavorisé.
Dès que les égalitaristes abordent l’évaluation des patrimoines, les bénéfices ainsi acquis sont oubliés. L’INSEE n’hésite pas à écrire : « Patrimoine brut global : montant total des actifs détenus par un ménage. Il inclut son patrimoine financier, immobilier et professionnel, mais aussi les biens durables (voiture, équipement de la maison, …), les bijoux, les œuvres d’art et autres objets de valeurs…, soit tout ce qui relève du patrimoine matériel, négociable et transmissible des ménages. Deux composantes du patrimoine ne sont pas prises en compte, l’enquête Patrimoine 2010 ne permettant pas de les mesurer : les droits à la retraite – présente ou future – et le capital humain des membres des ménages. Par capital humain, on entend l’ensemble des connaissances ou savoir-faire acquis par un individu » [[Insee Première N°1380 – novembre 2011.]].
Mais les retraites ne sont pas les seules omises.
Dans la distribution des patrimoines ainsi calculée par l’INSEE, le patrimoine du décile le plus bas est nul ou négatif ; techniquement, les membres de ce décile sont comptés comme des SDF même si en fait, ils bénéficient d’une aide au logement qui leur permet de se loger, d’avoir un RSA qui couvre leurs premiers besoins alimentaires, une retraite, une allocation chômage, etc.
Les versements en question sont de fait les intérêts de ce qu’il faut bien appeler un patrimoine social, que la société a souvent constitué pour éviter la misère et la famine. Et ce sont des intérêts aussi sûrs que peuvent l’être des versements garantis par l’État. Ils sont tellement attractifs que tant aux USA qu’en France, ils attirent des malheureux de la terre entière qui n’hésitent pas à exposer leur vie pour bénéficier de ces avantages.
La deuxième imposture statistique : l’oubli de la prime de risque
De l’autre côté, côté 1%, les plus riches, nos égalitaristes ne tiennent aucun compte que leur patrimoine est loin d’être garanti. Et cette chasse aux inégalités par rien de moins que deux prix Nobel doit être dénoncée car elle repose sur un analyse économique qui oublie un concept pourtant central au développement de l’Ouest, la notion de risque.
C’est la fraction réputée la plus riche, le 1% supérieur qui est à l’origine de plus de la moitié des investissements dans les entreprise et de leur création.
La dernière étude sur les inégalités de patrimoine aux USA (voir les différentes publications de Edward N. Wolff. Levy Economics Institute of Bard College) montre bien que le 1% le plus riche détient plus de la moitié du patrimoine industriel américain non coté.
Et elle montre que ce 1% n’est pas constitué des barons de Wall Street mais, à 75%, par des entreprises familiales non cotées, par ce qui a été appelé, dans les campagnes électorales, Joe The Plumber, Joe le Plombier, le petit entrepreneur local qui, avec plusieurs de ses pairs, fait vivre sa communauté. L’absence de reprise forte de l’économie américaine provient vraisemblablement de ce que Joe The Plumber n’a plus confiance dans le gouvernement qui dirige les USA.
Sa mise à l’index par des économistes qui ont bâti leur carrière sur une croisade contre les inégalités met en danger ces investissements et la croissance économique qui seule est capable de lutter contre les inégalités en donnant du travail, un vrai travail, à ceux qui sont au bas de l’échelle parce qu’ils n’ont pas d’emploi.
On ne trouve en effet jamais dans ces calculs celui de la prime de risque que paient sans que cela soit apparent ceux qui possèdent par rapport à ceux qui ne possèdent rien.
Ne pas tenir compte de cette prime, c‘est ignorer le risque sur lequel notre société économique s’est bâtie et que nous encourageons tous les jours en invoquant l’innovation – ou pour les plus savants Schumpeter. C’est considérer que la fortune des plus riches est une rente garantie – ce que Joseph Stiglitz n’est d’ailleurs pas loin de faire – et non pas le fruit du labeur et de la prise de risque.
Or cette prime de risque est considérable.
Rappelons d’abord que la fortune américaine est tombée d’un quart entre 2007 et 2009 soit 17, 5 trillions de dollars [[« Budget of the U.S. Government, Fiscal Year 2011 », Office of Management and Budget.]] et que cette chute a concerné non seulement les logements qui se effondrés mais également les actifs industriels dont la valeur s’est effondrée d’un pourcentage comparable.
À côté de ce risque économique global, lié à la santé économique d’ensemble et qui subit à chaque crise des chutes substantielles (avant celle de 2008, celle de la bulle internet de 2000), existe un autre risque qui n’a absolument pas été pris en compte, ni dans les calculs américains, ni dans les calculs français, les pertes dues à la vie « normale » d’une entreprise et qui va de l’erreur de gestion à la mort par obsolescence technologique.
Une première évaluation de l’impact le plus catastrophique, la disparition, par liquidation judiciaire, montre que pour la France seule elle se situe quelque part entre 10 et 20 milliards d’euros par an [[Enquête IRDEME 2013.]], soit environ 2% des 900 milliards qui constituent l’évaluation du patrimoine non coté.
Mais ce chiffre ne tient pas compte des baisses d’activité qui, au cours d’une année, entraînent une perte de valeur.
Très peu de travaux économiques approfondis ont été consacrés au calcul de la prime de risque, ce que les riches devraient payer à une assurance pour être dans la même situation que les déciles le plus pauvre dont la capital social est garanti par l’État.
Pour l’instant, l’évaluation la plus solide nous paraît celle qui est donnée à partir de l’enquête sur les patrimoines américains et qui montre que 75% de la fortune du 1% le plus riche sont constitués autour d’un seul business et que le reste de la fortune est essentiellement une garantie bâtie par l’entrepreneur pour pouvoir préserver la survie de son entreprise même en cas de crise majeure ; car en règle générale, il ne peut guère compter sur les soutien des organismes financiers et son patrimoine industriel n’est pas liquide, sa fortune est « coincée » dans son entreprise.
Ce n’est évidemment pas le cas des 25% autres très riches du « 1% », dont une grande partie a su diversifier sa fortune et la rendre moins sujette au risque économique et à la sanction suprême qui est la disparition.
Mais ces chiffres montrent que dans l’esprit des entrepreneurs la prime de risque qu’ils paient de façon occulte est de l’ordre sinon de la moitié de leur fortune, du moins de plusieurs dizaines de pourcent.
Et si les organismes bancaires ne veulent pas leur prêter au-delà de montant somme toute faible, c’est que même la différence entre le taux de ces prêts, en général double de celui du marché, 10% lorsque le marché est en moyenne à 5%, est en soi insuffisante pour faire participer les organismes bancaires dans leurs entreprises de façon majeure.
Si le coût de la prime de risque des plus riches et donc de l’ordre de 40% de cette fortune, combinée au capital social des plus pauvres que les statistiques officielles oublient, les écarts entre les inégalités de revenu et de patrimoine disparaissent.