Nous sommes heureux de publier un texte d’un spécialiste de la mécanique qui nous rappelle à l’occasion de l’affaire Alstom comment la mécanique française a sombré et comment l’État a précipité ce désastre.
Le lecteur sera intéressé de relire le dossier en 4 articles de l’iFRAP, publié par Georges Dureault, qui fut le patron de la plus importante société de machines-outils française :
La désindustrialisation française ; l’exemple de la machine-outil
Les causes lointaines de la crise de la machine-outil française
L’industrie de la machine-outil dans les années 70
Le rôle de l’Etat dans la crise de la machine-outil française
Alstom, productivité et sexe des anges
Ce qui se passe avec Alstom sur la scène médiatique est consternant. J’ai eu la chance dans mes jeunes années d’y travailler et dans un second temps d’être consulté pour établir les gammes d’usinage pour les premières turbines à gaz exécutées sur les premières machines à commandes numériques implantées à Belfort en attendant la fin de la construction de l’usine prévue de Bourogne (à deux pas de Belfort) J’ai pu constater les liens étroits avec Général Electric depuis les dessins des licences où l’on commençait d’abord par convertir les cotes en métrique (non seulement des turbines à gaz mais aussi des turboalternateurs). J’ai aussi eu la chance de suivre des cours initiés aux USA sur l’analyse de valeur, alors inconnue en France. La nature des relations entre Alstom et Général Electric ne datant pas d’hier, ne méritent pas les élucubrations anti américaines de l’idiot gouvernemental de service. Ce rachat est certainement la meilleure des choses qui puisse arriver pour Belfort, contrairement au projet Siemens qui a toujours cherché à éliminer un concurrent (aujourd’hui en lui refilant un ICE à grande vitesse avec ses multiples carences) ainsi que l’avis de cet illuminé de Chevènement, fossoyeur de la machine-outil française lorsqu’il sévissait au gouvernement dans les années 1980, tout en laissant dépérir sa circonscription lorsqu’il en était le député-maire.
La France récolte l’économie qu’elle a semée depuis des décennies. Soudain chacun semble découvrir la faillite de sa société industrielle qui malheureusement ne date pas d’hier. Débats et discussions tournent autour de la compétitivité des entreprises françaises en oubliant l’essentiel : le niveau de leur productivité actuelle.
Certes les charges pesant sur les entreprises ont eu leur rôle en ce sens qu’elles les ont privées des capacités d’investissement durant des années suite aux délires « sociaux » du « toujours plus » des gouvernants successifs. Ce fait majeur généra un recul significatif de leur productivité, quelle que soit la branche d’activité à quelques exceptions près.
La conséquence directe en fut un vieillissement généralisé de leurs équipements de production. Ainsi, l’âge moyen d’une machine-outil française dans le secteur des fabrications mécaniques se monte à dix-huit ans alors que celui d’une allemande est à dix ans seulement.
Cela se traduit non seulement par une nette perte de productivité, mais aussi de qualité, due à une maintenance de plus en plus problématique. Exemple : les défauts de transmission de correcteurs de dimensions du logiciel de commande des machines qui produiront au final des pièces défectueuses et leur mise au rebut (à condition d’être détectées). Par ailleurs, il suffit d’évaluer les performances des systèmes informatiques quand les fabricants d’ordinateurs cessent de fournir leurs logiciels d’exploitation comme le fit lBM en supprimant celui de son fameux AS400 et par suite les services y afférant.
Les modes de production progressent en permanence en influant sur les métiers et les savoirs. Il n’existe pratiquement plus de véritables spécialistes d’organisation du travail, capables de diagnostiquer les rationalisations nécessaires en fonction des évolutions technologiques et leurs incidences sur les réductions des coûts de production. Modes opératoires, transports, contrôles qualité et modes de stockage ont tous évolué avec une automatisation galopante favorisant la flexibilité, quelle que soit la quantité des lots de produits à fabriquer.
Ils transforment les flux de production en réduisant les temps d’attente et les encours. Les flux tendus en résultant diminuent en effet les frais de stockage et réduisent les temps morts. Il suffit simplement d’observer les usines françaises en difficulté et de les comparer à celles de leurs concurrents pour constater leurs retards lorsqu’on a la chance pouvoir le faire. Ce n’est pas uniquement le niveau des charges qui fait le succès de l’industrie allemande, mais aussi la productivité technologique intrinsèque et les conditions de travail de ses industries, ainsi que les mécanismes d’aides sociales dédiés à bon escient à celles et ceux qui méritent d’être soutenus, comme l’institua le chancelier Schroeder en dépit des protestations de ses propres électeurs.
Les plans d’amélioration de la productivité peuvent se résumer à trois grandes familles : le revamping, la rénovation et la modernisation. Le revamping consiste en une simple optimisation des ressources et leur utilisation en mobilisant les personnels. La rénovation consiste en un renouvellement partiel ou total des équipements et des bâtiments avec une solide remise à niveau des personnels. La modernisation consiste à remettre en cause les processus de fabrication pour atteindre des capacités de production optimales.
De là découlent des plans d’amélioration qui doivent être compatibles avec les ressources financières des entreprises concernées. Ils s’appuient, soit sur des actions technologiques, de projets et humaines. Les actions technologiques concernent les machines, les phases opératoires et l’ensemble des gammes de produits pour leur intégration dans un système de production existant ou à construire. Les actions projets ont pour objectifs d’améliorer des points précis comme les prix de revient, la qualité, la réduction des temps morts, la mise à niveau informatique ou tout autre point clé déficient dans le système existant. Les actions humaines prendront en compte les besoins en formation des personnels pour leur remise à niveau, que l’on peut estimer aujourd’hui à dix pour cent de la masse salariale.
Ce qui vient d’être décrit très sommairement s’inscrit dans une unité de temps donnée qui s’étale sur cinq années en général, dont une année de conception et de valorisation du plan pour y impliquer la majorité du personnel, vaincre l’habituelle résistance au changement, être absorbable par l’entreprise et restaurer sa compétitivité technologique. Il s’agira d’organiser de façon cohérente son automatisation, sa robotisation et sa gestion informatique avec des cahiers des charges précis en veillant à la pleine efficacité opérationnelle la plus courte possible des moyens investis au fil des ans pour obtenir des retours de capitaux rapides de l’ordre de trois à cinq ans. Un moyen moderne doit généralement être opérationnel à cent pour cent quinze jours après son implantation en production. Une gageure pour les industries mécaniques françaises dépendantes de machines-outils provenant pour la plus grande partie de l’étranger, l’absence de sociétés d’intégrateurs d’envergure d’une seule source spécialisée en automatisation et robotisation, du fait de la disparition de ces secteurs clés du paysage industriel français au fil des ans.
Ce qui précède démontre l’ampleur de la tâche qui attend nombre d’entreprises et ridiculise les fables des responsables politiques et économiques, débattant du sexe des anges avec les scories des idéologies mortes du XXème siècle. Faire du neuf avec du vieux reviendra toujours plus cher que faire directement du neuf, ce qui renforce tous ceux qui préconisent les notions de créations d’entreprises pérennes. Favoriser tous ceux qui sont décidés à entreprendre deviendra incontournable. Ce n’est plus qu’une question de temps tellement il y a à faire pour reconstituer un tissu industriel laissé à l’abandon depuis bien trop longtemps …