La philanthropie en France est atone comparée aux pays anglo-saxons. Les raisons en sont en grande partie fiscales.
Il est frappant de constater qu’aux États-Unis, l’emploi dans les fondations[[Plus précisément les 501c, soit les vingt-huit types d’associations ou d’organismes à but non lucratif qui sont exemptés de certains impôts fédéraux sur le revenu aux États-Unis. Ils représentent 9.2% des emplois soit approximativement 11% des emplois privés. http://alternatives-economiques.fr/blogs/abherve/2013/02/08/etats-unis-le-secteur-non-lucratif-represente-92-des-emplois]] représente de l’ordre de 11% de l’emploi privé alors que les fondations et associations en France représentent seulement 6%[[Nous avons estimé que le secteur équivalent en France aux fondations 501c est constitué des associations et des fondations. Le 6% est donné par Edith Archambault : voir Quelques repères sur les associations aujourd’hui, Associathèque. Il y a un nombre négligeable de 60.000 emplois dans l’ensemble des fondations.]] de la masse salariale de l’emploi privé. Ce fait n’est pas sans lien avec l’existence d’une générosité américaine impressionnante comparée à la France : les dons des particuliers représentent un montant de l’ordre de 280 milliards de dollars, contre seulement de l’ordre de 4 milliards en France[[La générosité des Français, Cécile BAZIN – Jacques MALET, Recherches et Solidarité, 18ème édition – Novembre 2013,]], ou bien à population égale 56 milliards de dollars contre 4 milliards d’euros. Ceci semble confirmer l’hypothèse qu’une société qui favorise l’initiative individuelle et l’enrichissement favorise aussi par ricochet la générosité et l’implication des particuliers pour la société. Des milliers de millionnaires et milliardaires américains créent et alimentent des fondations.
Les États-Unis sont un cas à part dans le monde, mais, plus proche de nous, le Royaume-Uni démontre que notre pays connait une « philanthropie privée » très peu performante. Les dons des particuliers britanniques sont en effet à peu près trois fois supérieurs à ceux des Français : 9 milliards de livres soit environ 13 milliards d’euros. Si le nombre d’emplois dans les associations et les fondations en France est supérieur à celui des charities britanniques, force est de constater qu’il s’agit pour une large part d’une fonction publique déguisée. Sur un chiffre d’affaires total de 75 milliards, le financement public représente près de la moitié, à environ 30 milliards. Par comparaison, le financement public des charities au Royaume-Uni ne représente qu’environ 20% de son chiffre d’affaires (12 milliards de livres[[http://www.telegraph.co.uk/news/9322949/Charities-getting-too-much-taxpayer-cash-says-think-tank.html]] sur 60 milliards[[http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/+/http://www.charitycommission.gov.uk/showcharity/registerofcharities/sectordata/sectoroverview.aspx]] et le gouvernement Cameron projette de diminuer encore à l’avenir cette proportion déjà plus raisonnable de financement public.
Les riches étant plus riches dans les pays anglo-saxons, ces constats semblent confirmer l’hypothèse intuitive que plus l’on gagne, plus on donne pour des œuvres charitables. Le lien entre l’enrichissement et le don est d’ailleurs confirmés par plusieurs études qui montrent que l’évolution du montant du don est corrélée à l’évolution du PIB. D’autres études ont en outre montré que la générosité individuelle est liée à la perception que l’on a du rôle de l’État. Ainsi les statistiques montrent que la gauche américaine, accrochée à une vision d’État-Providence, est moins généreuse que la droite conservatrice[[Arthur Brooks, Who really cares, Basic Books, 2006.]].
Afin d’expliquer la faiblesse de la générosité en France, il convient néanmoins de comparer aussi les fiscalités des trois pays. Ainsi, notre système juridique et fiscal a tendance à encadrer trop drastiquement les déductions fiscales sur les gros dons. Jusqu’en 2008, date à laquelle le statut de fonds de dotation a été créé, avec possibilité de recevoir des legs et donations en exonération totale, il était impossible de faire un legs ou une donation à une fondation sans payer des droits de mutation de 60%, sauf à donner à un choix extrêmement restreint d’environ 600 fondations[[Ainsi que certaines associations particulières : voir article 795 du CGI. On pourrait rajouter les fondations abritées mais celles-ci n’ont pas de statut juridique propre (tout passe par la fondation abritante). Nous n’avons pas compté ici les établissements publics qui sont nombreux à avoir droit à des exonérations.]], et ceci avec :
– exonération totale de droit de mutation à titre gratuit pour les fondations dont les ressources sont exclusivement affectées à des œuvres scientifiques, culturelles ou artistiques, à des œuvres d’assistance, à la défense de l’environnement naturel ou à la protection des animaux ; celles ayant pour objet le soutien à des œuvres d’enseignement scolaires et universitaires régulièrement déclarées.
– droit de mutation réduit de 35% sur la fraction des biens transmis n’excédant pas 23.299 euros et 45% au-delà[[http://www.economie.gouv.fr/daj/fonds-dotation-donations-et-legs. Voir article 795.14° du code général des impôts.]] pour les autres fondations reconnues d’utilité publique (RUP).
Ce chiffre très faible de fondations RUP vient du fait qu’il faut suivre une procédure et répondre à des critères très stricts pour être reconnu comme tel et obtenir rien moins qu’un décret en Conseil d’État. Ce chiffre français d’environ 600 structures habilitées, est à comparer au million de fondations américaines et au 160.000 charities britanniques qui peuvent recevoir des donations et legs depuis très longtemps.
Ainsi qu’en témoignent les think-tanks que connait Emploi-2017, ce sont donc une multitude de petits dons très lourds à gérer administrativement qui ont constitué jusqu’à présent l’essentiel de la ressource alors que dans un contexte sans distorsion comme aux États-Unis, il y a beaucoup de dons qui dépassent le million d’euros. On pourrait même pousser l’hypothèse jusqu’à supposer que la règle de Pareto se vérifie, c’est-à-dire que les 20% de dons les plus généreux représentent 80% du total. Preuve qu’il y avait une demande pour des structures pouvant accueillir dons et legs, 1.635 fonds de dotation se sont créés depuis la loi de 2008[[http://www.deloitte.com/assets/Dcom-France/Local%20Assets/Documents/Votre%20Secteur/Assurance/Deloitte_Observatoirefondsdotation_31012014.pdf]]. La souplesse de constitution et de fonctionnement reconnue à la forme associative est cumulée avec la grande capacité juridique et financière caractérisant les fondations RUP, avec exonération totale des droits de mutations pour les donations et legs[[Voir article 200 et 795 du CGI pour plus de détails.]]. Les montants mis dans ces fonds restent néanmoins encore modestes, car on ne change pas des habitudes de dons en seulement quelques années.
Par ailleurs, quelle que soit la structure qui reçoit le don, il reste de nombreux freins aux gros dons :
En ce qui concerne les legs, ils ne peuvent être supérieurs à la quotité disponible, c’est-à-dire la part d’héritage restant après l’application de la réserve à laquelle a droit légalement chaque enfant. L’exhérédation de cette réserve est devenue impossible en France en ce qui concerne les descendants. Ainsi par exemple, un couple avec deux enfants doit léguer au minimum un tiers de l’héritage à chacun, la quotité disponible restante est donc d’un tiers.
En ce qui concerne les donations :
– Pour la même raison que pour les legs, la somme des donations faites au cours de la vie ne peut excéder la quotité disponible (si l’on reprend l’exemple d’un couple avec deux enfants, elle ne peut excéder un tiers du patrimoine).
– La déduction fiscale de 66% sur l’impôt sur le revenu au titre de l’article 200 est applicable au maximum à 20% du revenu imposable.[[http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000018619914&cidTexte=LEGITEXT000006069577]] Par comparaison, il n’y a pas de limite[[http://www.hmrc.gov.uk/charities/guidance-notes/chapter3/sectionb.htm]] au Royaume-Uni pour bénéficier de la déduction fiscale, qui va de 0 à 45% selon la tranche marginale d’imposition du revenu et la méthode d’exemption utilisée.
– La déduction fiscale de 75% sur l’ISF pour les dons à certains organismes[[Voir l’article 885-0 V bis A du CGI (les fonds de dotation n’en font pas partie).]] ne peut dépasser 50 000 euros. (Par comparaison il n’y a pas d’ISF ni aux États-Unis ni au Royaume-Uni.)
Le président Hollande a dit qu’il n’aimait pas les riches et mis en œuvre un certain nombre de mesures à leur encontre dans une optique de justice sociale. Ce qu’il oublie, c’est le potentiel formidable de la philanthropie, basée sur la charité choisie et l’efficacité, à l’inverse de l’impôt, charité subie et souvent inefficiente… A quand un système fiscal pro-philanthropie ?
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État des lieux de la philanthropie en France
Bonjour,
Il me semble qu’il y a une confusion dans vos données : vous parlez en dollars du côté américain mais en euro du côté français : il faut faire la conversion car même si cela ne modifie pas l’extrême différence qui existe entre les deux pays, il faut tout de même toujours comparer ce qui est comparable
Paragraphe auquel je fait référence :
« les dons des particuliers représentent un montant de l’ordre de 280 milliards de dollars, contre seulement de l’ordre de 4 milliards en France [3], ou bien à population égale 56 milliards de dollars contre 4 milliards d’euros. » = dans la première partie de la phrase, on ne sait tout simplement pas à quoi correspondent les « 4 milliards en France », la façon dont la phrase est construite fait penser que ce sont des dollars, or on se rend compte par la suite que ce sont des euros. Dans la deuxième partie : vous comparez euro avec dollars : on ne compare pas des dollars avec des euros mais euro avec euro / dollars avec dollars. Cela évite les erreurs et les incompréhensions.
Merci de clarifier cette section dans votre article
Cordialement,