Pour la plupart des ménages, le patrimoine principal est constitué par leur retraite. Mais l’INSEE omet soigneusement de le prendre en compte. Ainsi, le patrimoine estimé par l’INSEE correspond à la moitié, voire au tiers du patrimoine total réel des Français.
Ne serait-ce que pour les États-Unis, réputés moins redistributifs que la France, les chiffres sont absolument frappants : le patrimoine social[[C’est-à-dire l’actualisation de toutes les prestations sociales qu’elle percevra dans le futur.]] – sécu, santé et retraite – d’un retraité représente trois fois son patrimoine immobilier et financier[[Estimation de Rex Nutting, économiste américain, à partir des données de quatre sources différentes : Survey of Income and Program Participation, The Health and Retirement Study, étude de Poterba, Venti & Wise, étude de Steuerle & Quakenbush]]:
Patrimoine moyen d’une famille américaine au début de sa retraite :
Dans les chiffres de son l’enquête annuelle sur le patrimoine des ménages[[« Les revenus et le patrimoine des ménages », édition 2012.]], l’INSEE reconnaît l’approche restrictive adoptée[[Le patrimoine étant défini comme « la valeur de l’ensemble des biens matériels, négociables et transmissibles
des ménages ».]] pour définir la notion de patrimoine. Elle se justifie en expliquant que la « composante importante » des droits à la retraite des ménages ne peut pas « être directement évaluée ». Il est intéressant de constater que malgré cette affirmation, l’INSEE lui-même a publié une étude en faisant l’évaluation il y a déjà plus de 6 ans[[Didier Blanchet et Jean François Ouvrard, « Les engagements implicites des systèmes de retraite », L’économie Française 2006, pp.138-166.]] …
Ainsi en 2005, le montant total des engagements implicites des organismes de retraite – c’est-à-dire l’ensemble des droits à la retraite à honorer dans le futur sur la base des règles existantes – s’élevait déjà à environ 7.000 milliards d’euros. Pour le Conseil d’Orientation des Retraites, l’estimation allait même jusqu’à 10.000 milliards d’euros. En tout état de cause, au vu de notre population vieillissante, des taux d’inflation et d’après l’estimation plus récente de Jacques Bichot[[Économiste des retraites et de la protection sociale. Voir son article « Titanic Debt » dans Études et analyses n°39, publié par Sauvegarde Retraites.]], elle dépasse aujourd’hui ce montant. Or, 10.000 milliards, c’est l’équivalent du montant total du patrimoine matériel[[Ensemble brut des actifs financiers et non financiers: 11.000 milliards d’euros en 2010 d’après la comptabilité nationale.]] des Français.
Les versements de l’ensemble des autres prestations sociales, hors retraites, atteignent par ailleurs aujourd’hui des montants presque aussi élevés. De la même manière que les retraites, ils constituent des sortes de rentes qu’il serait tout à fait logique de convertir en patrimoine. Or, les prestations sociales hors retraites étant en moyenne perçues plus tôt dans le cycle de vie des membres du ménage, leur montant actualisé atteint donc au moins les 10.000 milliards également. Comme on le voit plus haut, ces différentes données sont cohérentes avec celles disponibles pour les États-Unis. En Allemagne, l’ajout des seules retraites dans l’estimation du patrimoine des ménages revient à le multiplier par trois[[Estimation de Jennifer McKeown, économiste du cabinet d’analyse Capital Economics, article du Figaro du 13 mai 2013 « Les ménages allemands sont moins riches que les Grecs et les Européens du Sud ».]].
Ce patrimoine, cependant, n’est nullement provisionné (en anglais le système par répartition se nomme bien unfunded system). Il représente en fait les dettes implicites supportées contre leur gré par ceux qui détiendront et produiront la richesse dans les années à venir (les travailleurs du privé et les entreprises). Ainsi en France, l’ensemble de ces engagements implicites – dont le caractère contraignant est cependant variable[[L’engagement implicite de verser les retraites est a priori plus contraignant que l’engagement implicite de verser des allocations familiales.]] – représenterait actuellement plus de 10 ans de PIB.
On a accusé les banques de pratiquer des pyramides Ponzi, comme Madoff. L’État a probablement fait pire. Mais est-il acceptable que son institut statistique publie des chiffres sur le patrimoine en en oubliant la moitié sinon les deux tiers ?
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Patrimoine : la moitié oubliée par l’INSEE
De quoi donner de bien fâcheuses idées à nos sangsues …
JdT