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Fleur PELLERIN : bon diagnostic, mauvaise solution

par Bernard Zimmern
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Fleur Pellerin, ministre des PME, de l’Innovation et de l’économie numérique, a annoncé la semaine passée la création par la BPI (Banque Publique d’Investissement) d’un prêt pour l’Innovation de 30.000 à 1.500.000 euros d’une durée de 7 ans.
« Le Prêt Pour l’Innovation aidera les entreprises à franchir la « vallée de la mort », en permettant de financer le passage d’un projet de recherche et développement à une production industrielle régulière. » dit le communiqué.

En soi, cette affirmation est très remarquable car c’est à notre connaissance la première fois que le gouvernement français reconnaît qu’il existe une Vallée de la Mort du financement.
Un ingénieur au corps des mines, maintenant à la retraite, peut être salué, car c’est probablement lui plutôt que tout autre qui a contribué à vulgariser l’idée qu’au-delà du financement initial de naissance d’une entreprise par les CCC (copains, cousins, cinglés), dépassant rarement 100.000 euros, les entreprises se trouvent devant cette vallée à traverser, un trou de financement qui stoppe leur expansion, surtout pour celles qui sont à développement rapide.

La traversée de la Vallée de la Mort se situe grosso modo entre ce plafond de 100.000 euros et le minimum que peuvent apporter les fonds dits de capital-risque (« venture capital » en anglais), qui débute réellement au-delà de 1,5 à 2 millions d’apport ; en deçà, les frais d’étude, en moyenne de l’ordre de 300.000 euros, et de suivi, interdisent un investissement rentable. Cela s’est vérifié en France avec notamment les FCPI, en moyenne perdants, malgré un avantage fiscal. Les Anglo-saxons font faire la traversée de cette Vallée de la Mort par des financements d’individus, les Business Angels, encouragés par des avantages fiscaux non plafonnés ou très hautement plafonnés. Les Allemands le font par des prêts d’un réseau très dense de banques locales.

Les deux gouvernements français de droite de 2002 à 2012 ont été apparemment réfractaires à ce concept car les dispositifs fiscaux d’incitation aux Investisseurs Providentiels, les Business Angels dans le jargon anglo-saxon, ont toujours été plafonnés à des montants ridicules, assurant leur échec.
Dans une étude sur les gazelles françaises, l’IRDEME avait déjà noté que les taux de création de ces gazelles était deux fois plus faible en France qu’au Royaume-Uni (et les quelques informations disponibles sur l’Allemagne semblent montrer un ratio de même nature).

Tout ce que la droite a su faire en 10 ans, c’est de créer des petits boulots avec la SARL de Renaud Dutreil, le chèque CESU, les services à la personne de Jean-Louis Borloo, et l’auto-entrepreneur d’Hervé Novelli, et l’on trouve dans cette politique, ou plutôt cette évasion d’une politique, la facture aujourd’hui avec une balance des comptes qui n’a cessé de sombrer et des emplois marchands qui sont au total 25 à 30% inférieurs à ceux des Britanniques ou des Allemand à population comparable.
On peut donc se féliciter si, après tant d’années, le ministre des PME découvre enfin ce qui est à notre avis le principal problème de la création de vraies entreprises en France, leur financement au-delà de 100.000 euros de capitaux propres.

Ce plan peut-il réussir ?

On remarquera d’abord qu’il s’agit, non d’un apport en capital mais d’un prêt, ce qui peut à juste titre en effrayer beaucoup. Nous pensons à une petite entreprise en pleine expansion qui avait bénéficié d’un prêt Oséo d’une centaine de milliers d’euros et qui vient de s’en faire refuser la reconduction par un sous-fifre sous prétexte qu’en ayant eu une fois un prêt, c’était assez avoir reçu de l’État et qu’il ne fallait pas en demander plus.

Mais le plus grave, et on voit là que notre ministre n’a pas compris la leçon du passé, c’est que ce n’est pas en confiant à un seul organisme comme la BPI le soin de financer ce passage de la Vallée de la Mort, que la France va sortir du trou de financement.

En financement comme partout ailleurs, il faut de la concurrence. Toutes les start-up qui ont réussi à devenir grandes ont été d’abord rejetées par les premiers organismes financiers contactés. Depuis 40 ans, nous suivons le même parcours aveugle : un parcours qui ne sert le plus souvent que des intérêts très privés. Un seul organisme de financement comme BPI ou Oséo, c’est absurde.
Les Américains créent en 1958 le programme SBIC pour précisément financer le décollage d’entreprises innovantes et il naît en 5 ans 700 SBIC qui ont injecté dans les 30 années suivantes environ 150 milliards dans la création d’entreprises et sont responsables du décollage de Federal Express, des chaussures Reebok, etc. En France, Christian Marbach, qui rédige le plan innovation du ministère de l’Industrie de 1970, fait un texte qui limite le nombre des fonds à pratiquement 3 dont celui qu’il va créer, Sofinnova et où il va perdre rapidement le tiers du capital en embauchant 30 personnes. Alors que les SBIC sont de très petits organismes gérés généralement par leurs initiateurs qui ont mis leur argent et sont eux-mêmes des entrepreneurs.
Plus près de nous, c’est le Fonds National d’Amorçage, le FNA, créé par René Ricol avec 400 millions, mais avec des contraintes telles que la Caisse des Dépôts est ainsi sûre de ne pas intéresser de gestionnaires privés. Deux ans après son lancement, les entreprises qui en auraient bénéficié se comptent sur les doigts d’une main.

De surcroît, il est évident que les hauts rendements obtenus par les fonds de capital-risque et les Business Angels américains ou anglais traduisent un taux de succès élevé qui contraste avec les résultats nuls ou négatifs des FCPI, les fonds d’innovation bénis par Oséo. Cela ne s’explique que parce que ceux qui sélectionnent et gèrent sont pour la plupart des ex-créateurs d’entreprises ; ils savent détecter la bonne affaire et la conseiller. Ce n’est pas le cas des quelque 1.800 salariés syndicalisés qui constituent le cœur de la BPI.

On peut remarquer qu’une fois de plus notre haute administration pique un concept dans le langage de ceux qui cherchent à doter la France d’un outil de création d’entreprises et d’emplois compétitifs mais, dans la mise en œuvre, en fait une parodie inefficace.

Nous nous souvenons ainsi d’avoir fait créer par Renaud Dutreil, ministre des PME, un comité d’enquête sur les Investisseurs Providentiels (Business Angels). Renaud Dutreil s’est emparé du thème, a décidé de subventions de quelques milliers d’euros pour les réseaux de Business Angels (qui représentent aux USA ou au Royaume-Uni moins de 2% de l’argent investi par les Business Angels). Et la page fut tournée.
Hasard ? Renaud Dutreil est ancien élève de l’ENA comme Fleur Pellerin, lui sorti au Conseil d’État, elle à la Cour des comptes, deux des trois « grands corps » de l’ENA.

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3 commentaires

FREYCHET Pierre février 25, 2013 - 11:48 am

Fleur PELLERIN : bon diagnostic, mauvaise solution
Je ne pense pas que la diffusion à mes contacts sera très utile : juste une information qui ne débouchera sur aucune action.

Il serait, à mon sens, préférable de toucher tous ceux qui sont aux commandes de l’état et des régions/départements…et pour cela vous êtes certainement mieux placé que moi.

Une autre solution, pour mobiliser les individus, pourrait être de lancer une pétition à travers des organisations comme Avaas.org ou change.org

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ponine février 25, 2013 - 4:37 pm

Fleur PELLERIN : bon diagnostic, mauvaise solution
une fois encore au dela des questions de structures que tu soulèves,transparait la question de la culture pour moi plus fondamentale: comment une culture bureaucratique peut elle évaluer les aleas d’un business en creation et de surcroit pour un pret qui à ce stade de developpement risque d’être contre productif si il ne vient en appui d’une augmentation des fonds propres.

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Deres mars 1, 2013 - 4:06 pm

Fleur PELLERIN : bon diagnostic, mauvaise solution
Le but de tout ces énarques n’est pas de relancer l’innovation en France, mais de faire avancer leur carrière. La création de « bidules technocratiques » va donc tout à fait dans leur sens alors que confier des missions aux agents économiques ne fait aps croitre leur influence. Une nouvelle entité publique d’investissement permet de gagner sur tous les tableaux en créant d’une part de nouveaux débouchés pour hauts fonctionnaires et d’autre part de nouveaux obligés dans le secteur privé.

La BPI est un excellent exemple. L’intégralité de son conseil d’administration est composé d’énarques ainsi que son directeur général. Il est aisé d’imaginer que les cadres en dessous d’eux sont donc du même acabit, juste plus jeunes … Une grande partie de l’argent lui même sera donc dépensé par la structure administrative avec une agence par région en plus de la structure centrale (donc 100 agences avec 100 directeurs régionaux et leurs adjoints, 100 locaux différents, 100 DRH, 100 directeurs informatiques, 100 directeurs financiers, … le tout avec bureau, secrétaire et probablement voiture et appartement de fonction). Après cela, il faut aussi imaginer que cette centralisation sous la coupe d’un corps va entrainer également une homogénéisation des nouveaux projest. Il est probable que les familles et amis d’énarques vont beaucoup innover et créer d’entreprises ces prochianes années. Les grosses entreprises semi-publiques vont continuer à essaimer de plus belles en sponsorisant leurs « meilleurs éléments » avec le soutien de la BPI …

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