Notre Premier ministre vient de présenter le plan de relance du gouvernement baptisé « France Relance », un plan d’une ampleur historique nous dit Jean Castex : 100 milliards d’euros. Effectivement, il s’agit d’un plan d’une ampleur exceptionnelle, très bien conçu, il faut le reconnaitre, puisque centré avant tout sur l’offre, comme cela est nécessaire aujourd’hui : il ne s’agit pas, en effet, de stimuler par trop la demande puisqu’on sait qu’elle génère automatiquement, dans notre pays, des importations très importantes ; et, au demeurant, on estime qu’il s’est constitué chez les particuliers, au cours de la crise, une thésaurisation inattendue d’une centaine de milliards d’euros, ce qui permet de supposer que la demande est prête à redémarrer. Ce plan est fait pour soutenir les entreprises et sauver le plus grand nombre possible d’emplois : on estime en effet, que la crise du coronavirus en aura détruit près de 800.000, en quelques mois !
(article paru sur Atlantico, le 06/09/2020 : « Les maux français que le plan de relance ne saurait guérir ».
Ce plan va s’articuler en trois volets, de même importance : la compétitivité des entreprises et les relocalisations, l’écologie et la transition énergétique, et la cohésion sociale et territoriale. Le Premier ministre, en introduction, n’a pas caché la gravité de la situation disant aux Français : « La France a tenu, mais elle est affaiblie ». Avec ce plan, leur a-t-il dit, notre pays devrait pouvoir retrouver d’ici à 2022 le niveau d’activité qu’il avait avant la crise. Et, bonne nouvelle pour la population : il n’y aura pas d’augmentation des impôts.
Dans le même temps, on a eu la confirmation de la réinstallation de l’ancien Commissariat Général au Plan (CGP) qui avait été supprimé en 2006, un organisme de pilotage de l’économie qui est essentiel dans une situation de crise, avec la nomination à sa tête de François Bayrou, le président du Modem. Ce nouveau Commissariat au Plan va avoir pour mission d’ « Animer, coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l’Etat, et éclairer les choix des pouvoirs publics au regard des enjeux démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturels ». Et il sera précisé au haut-Commissaire, dans sa lettre de mission, qu’« ’il s’agit de préparer la France de 2030, en particulier pour ce qui concerne notre souveraineté technologique, les mobilités, la transition énergétique, et l’urbanisme de demain, et ce, en articulation avec une approche européenne ».
Ces deux dispositions importantes prises simultanément par notre gouvernement pour redresser le pays se complètent. Le plan de relance est une chose : il va à l’urgence. C’est l’affaire des hauts fonctionnaires de Bercy, et il s’agit d’actions à court terme. La restructuration de l’économie du pays est une autre affaire : il s’agit de problèmes de structure de notre économie. Et ce sera bien là, la mission de ce nouveau Commissariat au Plan. Malheureusement, notre Président a formulé la mission du nouveau CGP d’une manière elliptique. Il est surprenant qu’il n’ait pas repris pour la définir les termes très précis qu’il avait utilisés dans son discours du 14 juin dernier aux Français où il avait annoncé que nous entrions, à présent, dans une nouvelle phase de son quinquennat, celle consistant à reconstruire l’économie du pays. Il avait dit, dans son adresse aux Français, qu’il va s’agir de : « bâtir un modèle économique plus fort, un modèle économique durable qui soit la clé de notre indépendance ». Et il avait donné à cette occasion les précisions suivantes : « Il nous faut créer de nouveaux emplois en investissant dans notre indépendance technologique, numérique, industrielle et agricole, par la recherche, la consolidation des filières, l’attractivité, et le s relocalisations lorsque cela le justifie, et un vrai pacte productif. » Le temps n’est donc plus à faire de la prospective, mais bien à agir.
Le plan de relance vise à réparer les dégâts causés par la crise du coronavirus, et il va falloir, ensuite, s’attaquer au problème de la reconstruction de notre économie. La métaphore que nous avons utilisée, plus haut, en recourant au vocabulaire médical distingue bien d’un côté le rôle des infirmiers de Bercy qui ont à panser les plaies béantes faites à notre économie par la crise de la Covid-19, et de l’autre, celui du médecin, le Commissaire Général au Plan, qui, avec son équipe, passée la phase d’urgence va prendre en charge le malade pour le soigner, en procédant s’il le faut à des opérations de chirurgie.
Il faut bien voir que la reconstruction de notre économie s’impose car notre pays se trouve engagé depuis une quarantaine d’années dans une spirale descendante dont il faut l’extraire. La cause, mais on ne la découvre que seulement maintenant, se trouve dans la désindustrialisation profonde qui s’est opérée, d’année en année, depuis la fin des Trente Glorieuses. Il s’agit donc de l’en dégager car on ne peut plus continuer ainsi. Les gouvernements qui se sont succédé ont tous, en effet, été victimes du même aveuglement, se fiant par trop à la fameuse loi dite « des trois secteurs de l’économie » qui leur avait été enseignée par Jean Fourastié. Cet économiste français, on s’en souvient, avait publié, en 1949, « Le grand espoir du XXe siècle », un ouvrage qui eut un succès considérable, d’où il semblait se dégager qu’une économie moderne, dite « post-industrielle », est constituée uniquement d’activités de services : c’est une société de « l’intelligence et du savoir ». Dans cette optique, on considérait que les tâches répétitives et fastidieuses de la production industrielle seraient reportées sur les pays en voie de développement, les pays avancés se réservant en somme le monopole du savoir. On se rend compte, à présent, que ce fut une erreur très grave, et la crise de la Covid-19 a servi en cette matière de révélateur. Un pays moderne a besoin de son secteur secondaire, celui de l’industrie, et il s’agit alors d’un secteur où les emplois, moins nombreux certes que dans la phase antérieure, sont à forte valeur ajoutée : on a affaire à ce que certains ont appelé « une société hyper- industrielle ». On n’avait pas vu que le secteur secondaire de l’économie est celui où le progrès technique est le plus élevé, qu’une société de services est très peu exportatrice en sorte que les exportations qu’elle génère sont incapables de couvrir toutes les importations du pays qui sont importantes puisque l’on ne produit soi-même plus rien, et l’on avait estimé que des pays comme la Chine et l’Inde resteraient indéfiniment des pays sous-développés. Que d’erreurs, donc, dans ces conclusions tirées hâtivement des travaux de Jean Fourastié.
Il faut, pour comprendre la dynamique qui a conduit l’économie de notre pays à la situation dégradée qui est aujourd’hui la sienne, examiner l’évolution des agrégats suivants sur une longue période :
Dép. pub | Dép. sociales | PO[[PO= Prélèvements Obligatoires]] | Endettement | |
1980 | 49,0 % | 20,1 % | 39,0% | 20,0 % |
2000 | 55,0 % | 27,0 % | 44,0 % | 60,0 % |
2018 | 56,4 % | 36,1 % | 48,4 % | 98,4 % |
(En % du PIB) |
Ce tableau soulève immédiatement deux questions : pourquoi un tel accroissement de tous ces ratios, dans notre pays, depuis une quarantaine d’années ? Et comment se situe la France par rapport aux autres pays ?
Le tableau ci-dessous indique comment notre pays se positionne par rapport à la moyenne des pays européens :
Dép.pub | Dép. sociales | PO | Endettement | Prod.indus | |
France | 56,4 % | 36,1 % | 48,4 % | 98,4 % | 10 ,1 % |
UE | 46,7 % | 28,2 % | 40,3 % | 67,7 % | 17,2 % |
(En % du PIB) |
L’explication de ces évolutions se trouve dans la contribution sans cesse plus réduite de notre secteur industriel à la formation du PIB.
En constatant que la France est aujourd’hui à la fois le pays où les dépenses sociales sont les plus élevées de tous les pays européens, et où le secteur industriel a le plus régressé, d’année en année, pour se situer maintenant au niveau le plus bas en Europe, on est incité à penser qu’il y a, vraisemblablement, une relation de cause à effet entre ces deux phénomènes. La confirmation nous en est donnée par la relation étroite existant entre la production industrielle, dans les pays, et leur PIB/capita. Si, en effet, on rapproche les chiffres de production industrielle par habitant de différents pays avec l’importance de leur PIB per capita, on découvre qu’il existe une corrélation extrêmement étroite entre ces variables, et le coefficient de confiance de la corrélation est particulièrement élevé.
C’est ce que montre le graphique ci-dessous où les productions industrielles ont été calculées en dollars, à partir des données de la BIRD, organisme qui inclut la construction dans sa définition de l’industrie. Et le coefficient de confiance de la corrélation est extrêmement élevé.
La France, avec une production industrielle par personne de 6.900 dollars/an (selon les données de la comptabilité nationale, c’est-à-dire en termes de valeur ajoutée), a un PIB/tête de 40.493 dollars ; l’Allemagne, qui a un ratio de 12.400 dollars, se situe à un PIB/tête de 46.258 US$, et la Suisse qui est en tête dans ces comparaisons internationales avec 21.000 dollars de production industrielle par habitant crève tous les plafonds avec un PIB record de 81.993 US $.
Pour tenter de compenser ce retard de PIB/tête dû à l’insuffisante production industrielle du pays les pouvoirs publics ont été amenés à augmenter, d’année en année leurs dépenses sociales. Il faut comprendre quel est le cercle vicieux dans lequel notre économie se trouve enfermée. On a l’engrenage suivant : des dépenses sociales croissantes pour pallier l’appauvrissement de la population résultant de la désindustrialisation constante du pays, qui ont gonflé, année après année, les dépenses publiques. Il en a résulté, automatiquement, des prélèvements obligatoires de plus en plus importants, et ceux-ci se révélant chaque année insuffisants, recours, donc, à l’endettement extérieur pour boucler chaque fois les budgets du pays. Il en a résulté une dette croissante qui a fini par atteindre 100 % du PIB en 2019 ; et on sait qu’elle va être portée à un peu plus de 120 %, fin 2020. Et cet enchainement est un cercle vicieux du fait que les dépenses sociales croissantes consenties pour soutenir les chômeurs, les sans- emploi et leur famille, ainsi finalement que toute la population du pays, ont rendu inopérante la main invisible d’Adam Smith : les salaires ainsi que les rigidités du code du travail ne se sont pas trouvés corrigés, la fiscalité a augmenté, et les entreprises ont continué à ne pas être compétitives, d’où la poursuite inexorable de la désindustrialisation du pays.
Bien évidemment, il va falloir mettre un terme à cet enchainement fatal, et pour cela restructurer notre économie. Sans quoi la France va continuer à s’endetter un peu plus chaque année, selon la progression indiquée par le tableau ci-dessous :
Dette publique (% du PIB)
1980 20,0 %
1990 38,0 %
2000 60,0 %
2010 81,6 %
2019 100,1 %
Cet enchainement infernal auquel se trouve condamnée notre économie a été enclenché il y a une quarantaine d’années sans qu’aucun des gouvernements qui se sont succédés n’ait pu y mettre fin. Il faudrait, pour que le pays retrouve ses équilibres, que la contribution de notre secteur industriel à la formation du PIB soit portée à environ 17 % du PIB : c’est bien le moins, et c’est le niveau auquel il faut qu’un pays se situe aujourd’hui pour que sa balance commerciale ne soit pas négative. Des pays prospères, comme l’Allemagne ou la Suisse, sont très sensiblement au-dessus de la barre des 20 % du PIB, et ils bénéficient de balances commerciales largement excédentaires.
Reconstruire notre économie constitue donc la tâche qui incombe à ce nouveau Commissariat au Plan, et il s’agit d’une tâche gigantesque. Il faudrait, au niveau européen, que l’UE puisse accepter d’ériger des protections douanières significatives aux frontières de l’ Europe pour protéger nos industries naissantes ou renaissantes, de la concurrence des pays à bas salaires, et que, au plan français, on procède à des reformes très profondes, notamment en matière de fiscalité et de droit du travail : ce n’est pas, en effet, en conservant les lois et les règlements qui ont conduit notre pays au déclin que l’on parviendra à le sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve.
La tâche de ce nouvel organisme ne sera pas réellement de « planifier », mais de guider le gouvernement dans les réformes profondes à faire pour restructurer notre économie et lui trouver de nouveaux vecteurs de croissance, avec des leviers comme la fiscalité, l’aide aux entreprises, les investissements étrangers à encourager et aussi, à contrôler, l’orientation et le financement de la recherche publique, la formation professionnelle, plus, évidemment, les investissements à faire par la puissance publique chaque année. Tout cela en tentant de jouer au mieux, tant avec les Commissaires de Bruxelles qu’avec les hauts fonctionnaires de Bercy qui ne vont pas manquer de trouver que l’on empiète par trop sur leur pré-carré.
Il est à souhaiter que François Bayrou voit bien quelle est sa véritable mission : il ne s’agit pas tant de faire de la prospective que de changer la structure de notre économie, en modifiant notre législation et nos manières de fonctionner. Il faudra, pour voir ce qu’il convient de faire, beaucoup s’inspirer des expériences des pays qui fonctionnent mieux que nous, et les membres de l’équipe de François Bayrou devront donc, prioritairement, s’attacher à analyser les modes de fonctionnement de l’économie d’un très grand nombre de pays développés. On devra dévier, en effet, de la tendance par trop française de vouloir toujours être le pays qui montre la voie. Pour l’instant, nous ne sommes en Europe qu’en onzième position, seulement, pour ce qui est du PIB par habitant.
Telle devrait être la tâche à accomplir par ce nouveau Commissariat général au Plan dont se dote maintenant le pays : une tâche extrêmement ardue et particulièrement longue. Le nouveau Haut- Commissaire qui vient d’être nommé mesure-t- il réellement l’ampleur des changements qu’il va falloir opérer, et ne va-t-il pas se décourager très vite face aux innombrables obstacles qui vont se dresser sur sa route ?
Claude Sicard,
économiste, consultant international.
3 commentaires
voir les succès époustouflans des gosplants (grossplans) du temps de l’URSS
L’agence tout rixe ?
j’adore les plans qui se déroulent sans accrocs . . . .
L’argent « à la française » est distribué ainsi, par exemple pour une demande de 500 000 € l’entreprise se verra versé 426 571,34 €, pourquoi? réponse , parce que !
Bercy panse les plaies de notre économie en attendant le docteur Bayrou
Je pense avant tout que la nomination de Mr Beyrou est politique => 2022
Toutefois je joue le jeu en réagissant sur l’article de Mr Sicard.
J’en viens tout de suite au problème, si important, de la réindustrialisation.
Première erreur à éviter ne pas brusquer les chinois. Une production de 50/50 présente à mes yeux des avantages; je sais bien qu’au départ il y aura un delta important(en terme de cout de production) entre la France ou un autre pays européen, et la Chine. Ce delta diminuera naturellement en poussant la Chine à produire avec une qualité requise qui lui engendrera forcément des couts supplémentaires.
Coté europeen, pour préserver le marché, il faudra pousser sur la productivité. Nous savons faire, notamment en France
Déjà, ces 2 paramètres aplatirons les couts. Il y a d’autres possibilités.
Mr Sicard met aussi le doigt sur un point préoccupant, je veux parler des hauts fonctionnaires de Bercy, des énarques en quelque sorte; Ces pseudo élites qui ne connaissent RIEN de l’industrie (j’ai travaillé avec un énarque durant 2 ans pendant ma carrière, je sais de quoi je parle) seront ils à la hauteur ?
Ce point est inquiétant surtout qu’ils s’abreuvent ( pas tous) des propos de Mr Piketti.
Une fois de plus l’enjeu est énorme.
Le Haut Commissaire devra être doté de beaucoup de qualité et de courage…
Bercy panse les plaies de notre économie en attendant le docteur Bayrou
Je souhaiterai corriger une faute d’orthographe dans le commentaire écrit hier. Pardon Mr Bayrou
pour cette faute de frappe.
Cependant je reste sur mes convictions: votre nomination est politique et vous n’êtes pas l’homme de la situation pour cet immense chantier. J’aurai préféré un homme comme Mr Th.Breton ou un polytechnicien qui aurait certainement mieux convenu pour cette gigantesque tâche.
J’en profite pour affiner mes propos. En fait, concernant la réindustrialisation de la France et plus largement de l’Europe, une des erreurs essentielle à éviter, c’est de refaire le coup du balancier (tout à droite, puis tout à gauche; et là tout en Chine et rien en Europe et l’inverse…)
Je suis convaincu qu’un mixte( pays émergents / Europe) présente énormément d’avantages.
Ce serait trop long de développer. La sagacité des lecteurs devrait compléter mes propos.