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CADES, le tonneau des dettes sociales qui risque fort de déborder

par Bertrand Nouel
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Depuis 1996, les cinquante filles françaises du roi Danaos faisaient bien leur travail, en remplissant leur tonneau de dettes sociales à un rythme permettant leur écoulement par les trous prévus à cet effet. Mais là, la caisse d’amortissement des dettes sociales (CADES) risque de déborder, si les projets de loi « relatifs à la dette sociale et à l’aide pour l’autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap » sont votés comme le demande le gouvernement. Car le Conseil d’Etat sonne sévèrement l’alerte dans l’avis consultatif qu’il vient de rendre.

Le bond effarant du coût de la protection sociale et de son rapport au PIB

Situons d’abord le débat. Le coût de la protection sociale (qui comprend mais ne se limite pas à la Sécurité sociale) a atteint en 2017 (dernière date connue) 775 milliards d’euros, soit 34% environ du PIB, le chiffre le plus élevé du monde[[Soit 728 de prestations et 47 de frais administratifs et financiers.]]. Le même rapport pour l’année 2020 va donner le vertige, puisque le dénominateur est aux dernières nouvelles prévu en baisse de 11%. Quant au numérateur, il est actuellement impossible de connaître son évolution, et le gouvernement estime ne pas avoir à faire voter un PLFSS corrigé (plan de financement de la Sécurité sociale). Mais on sait qu’il faudra tenir compte de dépenses nouvelles, comme les indemnités de chômage partiel (25 milliards a priori, et non 30 comme quelquefois annoncé), les dépenses de fonctionnement et d’investissement dans les hôpitaux, ou encore le cinquième risque (la dépendance), objet partiel du projet de loi cité ci-dessus. Soit un effet de ciseaux assez terrifiant, qui pourrait amener le rapport des coûts de la protection sociale au PIB entre 40% et 45%. Certes un tel rapport n’a pas vocation à être récurrent dans la mesure où le PIB au dénominateur se redressera, mais les dépenses au numérateur ont, elles, toutes raisons de le devenir. On ne reviendra plus jamais à 34%, pourcentage dont on rappelle qu’il était de 26% en 2001…

Ne dites plus CADES (caisse d’amortissement de la dette sociale), mais CAFIDES (caisse de financement de la dette sociale).

La CADES a été créée en 1996 pour emprunter sur le marché international les sommes permettant d’amortir les dettes sociales publiques, ce qu’elle fait à des taux beaucoup plus favorables que ne peuvent le faire les hôpitaux. Initialement créée pour 13 ans, son existence a été plusieurs fois prolongée, et au total à fin 2018, 155 milliards sur 260 avaient été amortis[[Les ressources de la CADES proviennent essentiellement de la CRDS et en partie de la CSG.]], et les autorités criaient victoire à l’idée de respecter le délai prévu fin 2024 pour la fin de l’amortissement et la disparition de la CADES. A tel point que des petits malins suggéraient de la ressusciter avec pour mission de financer la réforme des retraites. Mais, patatras, voici que de nouveaux déficits s’annonçaient pour la Sécurité sociale, sans compter les dettes de l’ACOSS non reprises par la CADES. Le déficit de la « sécu » s’annonçait à 5 milliards pour 2019 et autant pour 2020… il en est maintenant à… 51 milliards pour l’année en cours !

Le projet de loi en discussion propose de « transférer » (le terme est inexact, voir ci-dessous) pas moins de 136 milliards à la CADES en prolongeant sa durée jusqu’en 2033, avec la particularité remarquable que sur cette somme de 136 milliards figurent 92 milliards correspondant aux déficits futurs du régime général de Sécurité sociale, qui comprennent le financement des investissements à décider dans le cadre de la future loi issue du « Ségur » de la santé concernant les hôpitaux. Ce qui transforme la CADES en organisme de financement de nouvelles dettes et non plus d’amortissement de dettes existantes. Un détournement de la mission d’origine de la CADES, que le Conseil d’Etat relève pour s’en inquiéter.

Quel est l’intérêt de l’opération ?

L’intérêt de l’opération est double. La CADES peut d’abord se financer dans de meilleures conditions que les hôpitaux. D’autre part l’intérêt est comptable, l’amortissement de la dette n’étant pas considéré comme une dépense publique. Seule la charge d’intérêts de la dette, lorsque cette dette est logée dans la CADES, est considérée comme une dépense des administrations de Sécurité sociale. L’opération est complexe car il ne s’agit pas d’un transfert de la dette à la CADES, qui emprunte et effectue des dotations aux organismes leur permettant d’amortir leurs dettes. Mais cela reste un mécanisme habituel de vases communicants. Sur ces questions, voir les analyses de l’Ifrap ( CADES : le mirage de la fin de la dette sociale et CADES : le mythe du jackpot à 18 milliards).

Les conséquences : dégradation des comptes publics et nécessité de prélèvements fiscaux supplémentaires

Le projet de loi ne prévoit pas de ressources nouvelles pour la CADES. Le Conseil d’Etat rappelle néanmoins le principe selon lequel « tout nouveau transfert de dette à la Caisse d’amortissement de la dette sociale est accompagné d’une augmentation du produit d’impositions de toute nature ou de la réalisation d’actifs affectés à la caisse permettant de ne pas accroître la durée d’amortissement de la dette sociale ». Que dira le Conseil constitutionnel, dont le Conseil d’Etat rappelle qu’« il lui appartenait de contrôler le respect de ces dispositions en vérifiant, d’une part, que les ressources affectées à la CADES dans les LFSS (loi de financement de la Sécurité sociale) étaient suffisantes pour respecter le terme fixé d’amortissement de la dette sociale et, d’autre part, que les ressources affectées à la CADES pour le remboursement de la dette sociale ne l’étaient pas au détriment du financement des régimes obligatoires de base de Sécurité sociale et des organismes concourant à leur financement ». On ne voit pas comment l’affectation de ressources à de nouvelles missions pourrait ne pas se traduire par une dégradation de la couverture des autres dettes de sécurité sociale.

On imagine qu’il faudra bien prévoir des ressources nouvelles, la plus plausible étant une augmentation de la CRDS, dont la raison d’être est précisément la création de ressources au profit de la CADES. On est en définitive très loin du cri de victoire sur le « trou de la sécu » poussé jusqu’en 2018 lorsqu’on envisageait la disparition en 2024 de la CADES et donc de la CRDS…

La guerre hôpitaux publics contre hôpitaux privés

Il y a enfin un aspect original de l’avis du Conseil d’Etat qui est celui que les médias ont retenu car il aboutit à une recommandation dont on ne voit pas comment le gouvernement pourrait ne pas la respecter : « Le Conseil d’Etat constate, en troisième lieu, que le projet de loi initial du Gouvernement prévoit que la dotation décrite au point 4 [à la CNAM, NDLR] a pour objet de couvrir les emprunts souscrits par les établissements publics de santé afin de mener à bien les investissements nécessaires à leurs missions de service public confiées par le code de la santé publique. Il considère qu’en excluant du bénéfice de cette mesure les établissements de santé privés assurant le service public hospitalier, notamment les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC), les dispositions en cause créent une différence de traitement qui n’est pas en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit et méconnaît le principe d’égalité. »

Mais comment peut-il se faire que le gouvernement commette une telle erreur, sinon du fait de la persistance d’un réflexe qui fait confondre « service » public et « établissement » public ? Réflexe classique chez les Français, mais qui ne devrait pas exister dans les administrations. Les établissements privés de santé assurent en effet quasiment tous une mission de service public hospitalier.

Simple coïncidence ? On vient d’apprendre par la presse que les ARS (agences régionales de santé) avaient enjoint aux hôpitaux privés de libérer des lits pour accueillir le surplus de malades du Covid-19, ce qui avait conduit ces hôpitaux à surseoir à 500.000 opérations prévues à l’époque mais qualifiées de non urgentes, mais que finalement il n’avait pas été fait usage de cette faculté. Résultat, étrangement les hôpitaux privés se sont trouvés oisifs, à côté d’hôpitaux publics débordés comme on nous l’a seriné à longueur de médias. Simple dysfonctionnement administratif, ou plutôt volonté du public de se réserver les avantages des réformes à venir, comme on le voit ici. Episode lamentable de la guerre public-privé. Quand cette guerre va-t-elle cesser ?

 

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