Ébahissement général, planétaire, pendant la rencontre des deux présidents. Comment expliquer une telle cordialité entre eux ?
Les manifestations mutuelles de relations chaleureuses étaient d’autant plus étonnantes que les désaccords politiques entre les deux chefs d’État n’étaient pas minces et que leurs effusions ne semblaient pas devoir se réduire après leur réunion : sur l’Iran, le commerce, le climat précisément, on devait s’attendre à la persistance de désaccords préoccupants au moins du côté européen.
Malgré la différence d’âge, on ne pouvait s’empêcher de faire le rapprochement avec le vestiaire sportif où, avant ou après le match, des adversaires se toisent sur le mode de la plaisanterie, se « charrient » comme on disait autrefois en langage populaire, se « chambrent » comme on dit aujourd’hui. Une gesticulation destinée à dégonfler l’agressivité plus ou moins excessive de la rencontre. Finalement une manifestation de sympathie au sens premier qui n’empêchera pas de se taper dessus sur le terrain. Sans enfreindre les règles bien sûr, l’arbitre y veillera. « Viril mais correque » comme on dit dans le Sud-Ouest pour le rugby. Au demeurant Trump n’a pas manqué dans sa campagne de faire allusion à sa fréquentation des vestiaires et à leur vocabulaire…
On voyait bien le bénéfice qu’Emmanuel Macron pouvait tirer de cette familiarité égalitariste démontrée. Mais Trump ? La tradition américaine nous a rarement montré à voir des présidents américains traiter leur homologue français sans exprimer plus souvent la suffisance mêlée de courtoisie qui convient vis-à-vis d’une nation européenne de moindre envergure. A quoi répondait dans le même registre la hauteur qu’un bon diplomate français sait manifester quand on oublie notre passé. Hauteur si bien représentée par le discours à l’ONU de Dominique de Villepin avant la guerre d’Irak.
Faut-il rabaisser les Etats-Unis pour qu’ils puissent devenir « great again » ? Et les mettre au même niveau que la France pour diminuer la performance des prédécesseurs et faire admirer celle du titulaire ?
Difficile de croire à une telle élucubration, tant Trump exhale par tous ses pores une très grande confiance en lui, une certitude de sa réussite.
C’est donc bien une supériorité française réelle qu’il envie à Macron et qui lui a permis de le taquiner comme un camarade. Mais alors, sur quel plan ? Si on élimine la culture au sens large, comme le justifie le peu d’importance accordé par Trump à la culture et au soft power américains, je n’en trouve qu’une. Pas très réjouissante : l’étendue des pouvoirs conférés au président par notre Constitution. Si supérieure à la situation américaine.
En France, 35 ans après, la justice est encore en train de démêler une sombre affaire de Karachi, alors que Trump a déjà annoncé qu’il rencontrerait le procureur Mueller enquêtant sur le rôle de la CIA pendant l’année électorale. A-t-elle facilité l’élection de Trump en oubliant les amitiés russes du président ?
Ici les députés En Marche votent comme un seul homme, ou presque. Là-bas pour faire passer une loi, il faut, pendant plusieurs semaines, rassembler les Républicains divisés pour le budget et obtenir parfois l’appui d’un des démocrates couramment insultés pour simplement faire payer les fonctionnaires à la fin de la semaine.
Ici il faut mettre en scène, face au président, des journalistes imbus d’eux-mêmes pour que la presse publie des analyses critiques au lieu de doctes commentaires explicatifs. Alors que là-bas, c’est un feu roulant de la majorité des médias qui souligne les insuffisances du président.
Nul doute que Trump envie Macron à intervenir dans les processus législatifs et judiciaires et dans les médias… Lui qui a fait valser ses ministres à un rythme inégalé. Il aimerait bien pouvoir faire de même hors de l’exécutif. Il doit fortement le regretter si on se souvient de la réplique finale de la série TV[[« The Apprentice »]] qui l’a rendu si populaire aux yeux de dizaines de millions de spectateurs pendant 4 ans : « You are fired ».
Il y a comme un avertissement pour notre talentueux président et pour son entourage dans les compliments de Trump. Comme s’il lui disait : « Vous pouvez agir comme un autocrate ». Beaucoup plus que Trump sans comparaison possible. L’avertissement ne doit pas s’arrêter là. D’abord : « Vous n’aurez pas d’excuse en cas d’échec. » Et alors, ce ne sera pas encore fini pour autant : « Quel jugement de l’Histoire si ce pouvoir si peu limité tombe dans des mains liberticides ! »