Apparemment, nous sommes les premiers à nous être demandés combien la France investissait dans la création de ses gazelles et à chiffrer ce qu’il faut bien appeler une origine primaire de notre chômage.
Pourtant, si nous avions eu des économistes intéressés par l’emploi, ils auraient pu se poser la question depuis une bonne demi-douzaine d’années. C’est en effet en 2006 que l’OCDE avait tiré la sonnette d’alarme en montrant que, derrière l’optimisme des chiffres officiels artificiellement gonflés, la création de start-ups était 2 fois plus faible en France qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni [[THE INTERNATIONAL COMPARABILITY OF BUSINESS START-UP RATES FINAL REPORT par Steven Vale
OECD Statistics Directorate / Office for National Statistics, UK. 14 novembre 2006]].
L’information sur les capitaux investis est bien évidemment essentielle. Elle permet de découvrir le fossé entre les investissements français totaux et leur équivalent britannique avant de s’interroger sur les causes de ce fossé.
Il est nécessaire d’investir pour créer des emplois, investir non seulement en équipements mais également en frais de commercialisation, de marketing, de recherche.
Les montants à investir varient en fonction des secteurs : beaucoup plus élevés dans l’industrie lourde, et beaucoup moins dans les industries de service les plus légères comme le conseil, il s’agit quand même de près de 60.000 euros par emploi pour la moyenne des entreprises existantes, de l’ordre de 20.000 à 30.000 euros pour les nouvelles entreprises plus portées sur les services.
Le montant total investi dans le capital social de gazelles est donc un facteur premier de leur apparition et de leur développement.
L’absence de données en France tient à ce que l’INSEE ne tient pas de séries longitudinales (de séries chronologiques sur les entreprises) et donc n’est même pas capable d’identifier les gazelles et donc d’identifier leur impact sur l’emploi.
Pour le Royaume-Uni, l’ONS, l’Office National de Statistiques, suit ses entreprises et a donc pu identifier ses gazelles mais seulement en emplois, pas en capitaux.
Il en va de même aux USA où le Labor Department, dont dépendent les statistiques de création d’entreprises et d’emplois, ne publie aucun chiffre financier. Ou en Allemagne où il en est de même de Destatis, l’organe officiel qui tient les statistiques d’entreprises et d’emplois.
L’IRDEME, dont nous reprenons les résultats, a donc utilisé des séries longitudinales établies par le pH group pour la France et le Royaume-Uni, comportant les données financières issues des bilans, et nous publions dans le tableau in fine les principaux chiffres.
Ce tableau donne les montants investis en capital social à la création des gazelles françaises et anglaises, en 2005 et 2008. Ces montants sont ceux totalisés sur 5 ans de 2001 à 2005. Nous avons donné les montants équivalents pour les « non gazelles », les entreprises qui comme les gazelles avaient atteint en 2005 10 salariés ou plus mais ont fait une croissance inférieure à 72% de 2005 à 2008 ou réduit leurs effectifs.
On constate :
-que le capital social investi à la création dans les gazelles britanniques est comparable à celui investi dans les gazelles françaises, mais devient presque triple au début de la période de croissance. Ceci marque que les gazelles anglaises sont donc globalement beaucoup mieux financées. Ceci est d’autant plus remarquable que l’on sait qu’à la différence de la France, les Britanniques mettent peu de capital au début de leurs créations d’entreprises.
-que de ce fait, la création d’emplois est aussi plus importante au Royaume-Uni, engendrant à la naissance des gazelles 47.000 emplois de plus qui deviennent 82.000 en 2005 et 214.000 en 2008.
Grâce à 5 milliards de plus investis au Royaume-Uni : 6,8 milliards contre 2 milliards en France. Pour un investissement en capital social d’environ 25.000 par emploi, 214.000 emplois de plus en 2008.
Et l’on s’étonne d’avoir un chômage qui s’aggrave en France, dépassant les 10% alors que celui des Britanniques chute et est tombé en dessous de 8% (7,7% en janvier 2013), le minimum en-dessous duquel nous ne sommes plus descendus depuis plus de 20 ans ?
. | France | Royaume-Uni | Ratio |
Emplois à la création | 12 480 | 59 641 | 4,8 |
par gazelle | 9 | 21 | |
Emplois en 2005 | 36 542 | 118 174 | |
Emplois en 2008 | 92 469 | 306 734 | |
Emplois créés entre 2005 et 2008 | 55 927 | 188 560 | 3,3 |
par gazelle | 39 | 66 |
Pendant la période de forte croissance, les gazelles anglaises ont créé environ 200.000 emplois, ce qui est 3 fois plus important que les emplois créés par les gazelles françaises.
Le nombre moyen d’emplois créés par une gazelle est de 66 au Royaume-Uni contre 39 en France.
Résultats financiers
Les gazelles sont peu nombreuses, mais ce sont elles qui croissent plus vite que toutes les autres entreprises. Y a-t-il des raisons financières à cette croissance ?
Nous étudions la population des entreprises qui ont plus de 10 salariés et moins de 5 ans d’âge en 2005. Les gazelles sont les entreprises ayant connu 3 années de suite une augmentation de leurs effectifs supérieure à 20%, soit plus de 72% entre 2005 et 2008. Toutes les autres entreprises qui ont augmenté leurs effectifs de moins de 72% sur la même période sont les non gazelles.
Les gazelles se distinguent des non gazelles par la vitesse ascensionnelle, qui est beaucoup plus importante au Royaume-Uni qu’en France.
Nous comparons la dynamique financière des gazelles anglaises avec celle des gazelles françaises et leur avantage sur les non gazelles.
. | France | Royaume-Uni | ||
Gazelles | Non gazelles | Gazelles | Non gazelles | |
Nombre d’entreprises | 1 445 | 16 458 | 2 856 | 22 206 |
Emplois à la création | 12 480 | 229 163 | 59 641 | 1 092 287 |
par entreprise | 9 | 14 | 21 | 49 |
Emplois en 2005 | 36 542 | 525 819 | 118 174 | 1 734 796 |
par entreprise | 25 | 32 | 41 | 78 |
Emplois en 2008 | 92 469 | 495 267 | 306 734 | 1 479 074 |
par entreprise | 64 | 30 | 107 | 67 |
Capital social à la création | 605 463 492 | 11 210 507 209 | 888 001 132 | 5 304 750 727 |
par entreprise | 418 959 | 681 156 | 310 872 | 238 888 |
Capital social en 2005 | 955 456 766 | 15 918 320 628 | 2 574 891 647 | 16 192 582 447 |
par entreprise | 661 142 | 967 205 | 901 421 | 729 198 |
Capital social en 2008 | 1 966 296 774 | 17 579 316 129 | 6 793 694 396 | 22 711 106 535 |
par entreprise | 1 360 607 | 1 068 128 | 2 378 344 | 1 022 746 |
Pour lire ce tableau, les non gazelles sont les entreprises qui, comme les gazelles, ont au moins 10 salariés en 2005 mais ont une croissance de 2005 à 2008 en effectifs inférieure à 72%, voire négative.
Les chiffres de capital social incluent les primes d’émission.
Chiffres anglais en € sur la base de 1,40 €/£, moyenne des années 2005-2008.