1987 : dès le début de l’année, le bruit circule qu’à l’instigation de patrons influents, particulièrement Alain-Dominique Perrin, président à l’époque de la grande maison de bijouterie Cartier, le gouvernement du Premier ministre, Édouard Balladur, va lancer une grande réforme des fondations.
Cette réforme va en effet créer un statut fiscal avantageux pour les fondations d’entreprise.
Une campagne préalable bien orchestrée a mis en valeur le rôle des fondations américaines comme la Ford Foundation, Rockefeller Foundation, etc. et les progrès qu’elles ont permis de faire à la société américaine, notamment dans le domaine de la recherche.
C’est ainsi que la Rockefeller Foundation est créditée de l’éradication dans 11 états américains du sud du ver ankylostomiase (« hookworm ») qui affectait particulièrement les enfants.
Le seul hic dans ce discours est que la fondation Ford, la fondation Rockefeller n’ont jamais été créées par la société Ford ou par le groupe Rockefeller mais par Henry et Edsel Ford ou par John D. Rockefeller ; ils ont donné des actions de la société Ford ou du groupe pétrolier Rockefeller, qu’ils possédaient dans leur patrimoine personnel à une fondation qui porte leur nom.
En fait, la « bible » de la philanthropie aux États-Unis, Giving USA, indique bien depuis plus de 20 ans que les dons en provenance des entreprises représentent moins de 5% des dons reçus par les institutions charitables américaines.
Pourquoi un pourcentage si faible ?
Parce qu’éthiquement, ce n’est pas le rôle d’une entreprise de faire des actions philanthropiques ; c’est le rôle de ses actionnaires individuellement ; s’ils désirent donner leur argent, y compris leurs dividendes, à des organismes charitables, c’est à eux de le faire, pas à l’entreprise de décider pour eux.
En réalité, les donations faites par les entreprises sont de la publicité déguisée, et sont souvent comprises dans le budget publicitaire.
Il s’agit d’une publicité, plus discrète que celle utilisée pour vendre un produit ou un service, généralement pour renforcer l’image de la société, par exemple pour enlever l’image de parasite que l’on pourrait attacher à un organisme financier et en faire un bienfaiteur des arts et lettres ou de la santé publique. Les dons d’entreprises peuvent difficilement se concentrer sur des sujets qui fâchent ; ils ne peuvent venir empiéter sur les domaines publics que la bureaucratie française juge être son pré carré.
C’est donc à une fin de non-recevoir que s’est heurté le signataire de ces lignes lorsqu’au printemps 1987, fort d’un colloque à l’hôtel Intercontinental où, devant plus de 200 participants, étaient venus plancher des représentants de fondations américaines, britanniques, allemandes, suisses, il avait rencontré le jeune énarque de service, chargé, au sein du cabinet Balladur, de préparer la loi de 1987 sur les fondations.
Cette loi créait essentiellement les fondations d’entreprise.
Accessoirement, elle interdisait à une association française d’utiliser le titre de fondation si l’association n’avait pas été bénie « fondation » par un décret de la République.
Probablement la façon dont nos dirigeants concevaient – et conçoivent encore ? – la liberté.
Nous n’avons trouvé aucune statistique officielle sur les fonds réunis par les fondations d’entreprise ; il y en aurait 300 avec un revenu médian annuel de 600.000 euros, ce qui garantit donc un total collecté annuel supérieur à 180 millions – le revenu médian est plus faible, substantiellement, que le revenu moyen – mais certainement inférieur au total au milliard d’euros.
Mais était-ce une révolution dans le paysage, ou plutôt le désert, de la philanthropie française ?
NB
Certains lecteurs se sont offusqués des qualificatifs concernant la philanthropie de notre premier article et donnèrent en contre-exemple la générosité qui entoure de nombreuses associations de bénévoles dans l’aide aux infirmes, aux sans-logis, aux miséreux des pays sous-développés. Et je n’oublie pas les lépreux de l’association Raoul-Follereau qui nous a soutenus quand nous dénoncions les abus de fonds publics par l’Agence Française de Développement, à l’époque la Caisse Centrale de Coopération Économique, la CCCE, l’un des fiefs de l’Inspection.
Affirmer que la philanthropie est étranglée en France n’est pas sous-estimer la générosité et le dévouement de certains, mais constater que la générosité privée est trop souvent remplacée par des services publics moins désintéressés. Et ce, particulièrement dans le domaine qui nous préoccupe le plus, plus abstrait que la lutte contre les maladies physiques, celui de la grande maladie sociale française : le chômage.
1 commenter
1987 : le trompe-l’œil des fondations d’entreprise
Bonjour Bernard
Je vous signale que sont sortis les 4 premiers numéros d’un magazine bimestriel de 70 pages, destiné au grand public, et intitulé « Le Monde des Fondations (et) du Mécénat ».
Voir le site internet http://www.lemondedesfondations.com.
Tirage en 12000 exemplaires, diffusé en France, Suisse, Luxembourg, Belgique et … Maroc !
Je leur envoie votre article, en conseillant à David Justet, son fondateur, de vous interroger sur ce thème.
Les « valeurs » guidant l’action des fondations et des philanthropes ont été le thème de la conférence annuelle 2013 du Centre Français des Fonds et Fondations, le 8 avril 2013 à l’Institut Pasteur.
Je n’y étais pas mais cela peut être une source de commentaires de votre part.
Renseignements possibles à http://www.centre-francais-fondations.org …